L'Empire n'avait jamais connu la paix. Il avait fallu l'édifier, et puis il avait fallu le défendre. Du fond de son histoire montait la rumeur des haches et le sifflement des javelots et les cris des mourants, le soir, après la bataille. Les forêts du nord et de l'est, les hautes montages du sud n'avaient pas suffi à le protéger des attaques et des invasions.
Chaque homme n'a qu'une vie, peu d'années, beaucoup de souffrances et de malheurs qui s'achèvent par la mort. Dis à ceux qui viendront après nous de croire et d'espérer et de faire quelque chose de leur passage si bref sur cette terre et parmi les autres hommes.
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La vie a passé là-dessus comme elle a passé sur l'Empire. Où sont-elles toutes nos attentes, nos folles amours, nos ambitions insensées ? La vie les a emporté comme elle a emporté l'Empereur, comme elle a emporté l'Empire.
Nous les gardons au cœur parce qu'elles sont notre passé. Le passé... le souvenir... Le monde n'est que son histoire.
Il n'y a d'histoire que de la folie des hommes. L'ordre se met de lui-même autour des choses - mais le désordre aussi. Les peuples et les Etats oscillent entre la paix et la guerre, entre la liberté et la servitude, entre l'ordre et le désordre. Ils se fatiguent vite, même du bonheur qui ne tarde jamais à se teinter de lassitude. A peine jouissent-ils des bienfaits d'un gouvernement sage et juste qu'ils réclament plus de sagesse et une autre justice.
Le présent serait inutile s'il n'y avait pas de futur, mais comme il serait pauvre s'il n'y avait pas de passé !
L'avenir est à Dieu, mais le passé est à l'histoire. Dieu ne peut plus rien sur l'histoire, mais l'homme peut encore l'écrire et la transfigurer.
Juste Dion.
Ainsi s'amorce et s'organise la seule, l'éternelle morale de toute histoire humaine : cette généalogie sans recours de l'espérance et de la lutte, de la victoire, de la puissance et de la gloire, du déclin et de la chute - et le cycle recommence des ascensions triomphales et sanglantes et de tous les effondrements de la douceur de vivre.
Le souvenir des massacres s'était peu à peu effacé et les cris des mourants s'étaient éteints dans le passé. Ceux qui les entendaient encore dans leurs nuits sans sommeil trouvaient une espèce de douceur à évoquer le siège et ses souffrances : même la cruauté et l'horreur finissent par laisser au cœur des hommes la mélancolie presque tendre des choses évanouies.
L'histoire est un roman qui a été, le roman est de l'histoire qui aurait pu être.
E. et J. de Goncourt.
Selon la belle formule du professeur Bjöersenson, "l'empire reposait sur trois piliers, il avait trois soucis et trois lois qui n'en faisait qu'une seule : la guerre, la fête et la religion".