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Critique de Eric76


Malheureux Ovide qui, par imprudence, est entré dans le secret des Dieux ; qui a vu quelque chose qu'il n'aurait pas dû voir ; qui s'est trop « approché des récifs dangereux ». Ovide ! l'élégant, le poète délicat, le douillet Ovide, l'écume de la civilisation latine, un sommet de brillance et de légèreté, admiré, chéri, applaudi par tout le gratin de la Rome impériale, se retrouve du jour au lendemain exilé chez les barbares, chez les « Gètes hirsutes ». A Tomes exactement ! la « dernière ville, sur la côte nord-ouest de la mer Noire, où se jette le delta du Danube, ce lointain point du monde où les eaux se mélangent ». Aux confins de la terre. A la dernière frontière avant le « grand Autre » du monde romain. A Rome, il était au centre de tout. A Tomes, il se retrouve « au bord du Styx ». le choc est brutal.
« Tristes Pontiques », c'est un appel désespéré au secours. L'auteur des « Métamorphoses » et de « L'art d'aimer » inondera de lettres sa famille, ses amis, ses connaissances, les suppliant de ne pas l'oublier, et d'intercéder en sa faveur auprès d'Auguste. C'est une longue plainte mélancolique et douloureuse sur le paradis perdu et la fidélité des amis qui s'évaporent au fil des ans.
« ils ont été nombreux à quitter le navire
m'abandonnant avec mes voiles déchirées
mais toi tu restes encore
comme une ancre solide
ton amitié m'est si précieuse »
Ovide écrit, ne cesse d'écrire, jusqu'à arriver « à bout de mots ».
À travers le regard d'Ovide, nous voyons le monde barbare : ce « Grand Autre » de la civilisation romaine. C'est « un monde marécageux où se perd la Danube ». C'est un ciel nu, des étoiles froides, une terre sans arbres, un pays sans feuillages engourdi par l'hiver qui succède à l'hiver.
« j'ai vu l'immense mer arrêtée sous la glace
j'ai vu les eaux figées sous sa croûte glissante
on marche sur les flots sans se mouiller les pieds
les dauphins pris dessous se meurtrissent le dos
aucun remous »
Ceux qui vivent là-bas le révulsent. Il les méprise. Il les redoute.
« on peine à contenir un mouvement d'horreur
à la vue de leurs peaux de bêtes
et de ces chevelures ».
Et toujours les escarmouches, la guerre larvée, ces cavaliers hirsutes qui viennent se fracasser sur les dérisoires remparts censés protéger l'empire.
« visage cruel chevaux haletants
Ils tirent des flèches empoisonnées
Ce sont des loups qui emportent comme des brebis
Ceux qui n'ont pas pu se mettre à l'abri »
Ovide prend-il conscience que ce Grand Autre, au bout du compte, parviendra à vaincre la puissance romaine ?
Quel texte, mes amis ! Un texte deux fois millénaire qui a survécu à la poussière. Tant de poètes se sont inspirés des frayeurs d'Ovide jeté sans ménagement sur une autre planète, de ses plaintes amères, de ses lamentations prophétiques. Un texte modernisé, toiletté par la talentueuse Marie Darrieussecq pour le rendre accessible à des néophytes dans mon genre. Ce fut un voyage mouvementé, une sacrée expérience.




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