AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de jlvlivres


Hiroko Oyamada, présentée comme la jeune génération d'auteurs japonaisdans un numéro de Granta (printemps 2014, Granta #127, 272 p.). Deux romans, ou plutôt deux longues nouvelles et un roman lui ont déjà valu de recevoir le Akutagawa Prize. C'est le prix littéraire le plus prestigieux et le plus médiatisé du Japon. Il a surtout le don de booster les ventes, un peu notre Goncourt. Et dire que je ne lis pas, par principe les Goncourt, souvent plus effets de marketing que de littérature.
Donc « le Trou » (Ana) non traduit en français, mais en anglais par David Boyd (2020, New Directions Pub. Co, 112 p.). La référence à « Alice au pays des merveilles » est évidente. « le trou dans lequel je suis tombé était exactement à ma taille, un piège fait juste pour moi ». On comprend que Asahi va rencontrer, non point le Lapin Blanc ou le Chat du Cheshire, ni la Reine de Coeur ou le Chapelier, mais toute sorte d'éléments bizarres.
Le mari d'Asahi, Muneaki, vient d'être muté dans une campagne perdue, mais près de là où il a passé son enfance et où ses parents ont deux maisons. Asahi quitte son emploi pour devenir femme au foyer, dans la tradition japonaise, ou malgré cette tradition. La ficelle est grosse, on va avoir presque tous les poncifs liés à la chose. Couple de presque la quarantaine, sans enfant, sans voiture et pour la femme, sans occupation autre que sa maison. On s'attend au pire, et il arrive à grands pas.
C'est le trou, qui justifie le titre. « Il avait probablement quatre ou cinq pieds de profondeur, mais je me suis débrouillée pour retomber sur mes pieds ». Evidemment, sinon coma profond et le livre partait en description traumatisantes, sans véritable narratrice.
Heureusement il y a les cigales. Elles ont partout en été au Japon, et on les dénomme par leur chant. Il y a ainsi les niini-zemi, la kikiki ou kanakanakana ou encore l'abura-zemi qui chante « Jiiiiiiiijirijirijirijiri » à ne pas confondre avec l'ezo-zemi qui fait « Guiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii” » ou la kuma-zemi qui stridule des « washawashawashaaashaashaa » ou des « sensensensensen ». On trouve un tas d'animaux plus ou moins bizarres ou peu identifiés « Ce que j'ai vu n'était pas une fouine, ni un raton laveur. Il devait être aussi gros qu'un retriever » ou « un scarabée a volé vers [s]on visage » et « une fourmi noire a pris l'une des fourmis rouges dans ses mandibules tandis que d'autres rouges lui ont mordu les pattes ». On dirait la vie des insectes de Jean Henri Fabre, sauf que ce dernier s'y connaissait en bêtes à pattes.
Bref, Asahi est plus intégrée dans son trou qu'elle ne l'est dans son voisinage. On ne parle d'elle qu'en la nommant « la mariée », « l'épouse de Mune-chan ». Il faut dire que le reste de la famille consiste en un grand père semi-sénile et un beau-frère pour le moins étrange « self-acknowledged good-for-nothing » (autoreconnu comme bon à rien). le voilà habillé pour la suite. Il faut reconnaître que les descriptions psychologiques sont plus minces que celles des insectes.

Un peu déçu par cette nouvelle littérature japonaise. Des phrases courtes, une description qui fait plutôt penser à du remplissage. On dirait presque des reportages sur la vie des animaux. Des phrases souvent répétées qui pourraient être supprimées, bien que le livre soit déjà fort court. Quant au fond, c'est-à-dire la condition de la femme…. Il est à peine abordé, ou plutôt suggéré. Mais nulle part, on ne trouve de solution, ni de révolte de la part de Asahi. Faut-il en conclure qu'elle se plait ou se complait dans sa situation. Au moins Emma, qui s'ennuyait en Normandie avec son médecin célèbre, a pris les choses en mains, et le flacon d'arsenic de l'autre. On aurait pu s'attendre à des nouveautés du point de vue de l'écriture, non cela reste très plat, sans créativité. Un vocabulaire également pauvre. Il faut reconnaître que tout le monde ne peut être Charles Lutwidge Dogson, ni même professeur de mathématiques ou encore seulement Chapelier.
En conclusion, on pourrait se poser la question sur cette nouvelle orientation de la politique éditoriale des (grands) éditeurs. Des livres, non point à lire, mais à vendre. Humpty Dumpty, reviens, ils sont devenus des marchands.

Pour ne pas finir sur cette impression, j'ai voulu lire d'autres nouvelles de Hiroko Oyamada. Et il y a de quoi. L'une « Spider Lillies » est parue dans le magazine « Granta », spécial nouvelle littérature du Japon (printemps 2014, Granta #127, 117-135). La nouvelle et son titre font référence à des fleurs qui poussent spontanément, notamment dans les cimetières, allez savoir pourquoi, au Japon. Cette leur, ou « lis araignée », souvent rouge (« Lycoris radiata ») ou « Higan bana » ou « Shibito bana » ou encore « fleur aux 600 noms ». la forme de ses pélaes, trèsfines et assez longues font effectivement penser aux pattes des araignées, d'où le nom anglais. C'est une fleur particulière dont un des noms fait référence à l'équinoxe, passage pendant lequel le soleil change d'hémisphère céleste. Rien d'étonnant donc qu'on l'associe à la mort, elle aussi passage d'un état à un autre.
Quoiqu'il en soit, l'auteur se rend à un service en mémoire de sa grand-mère paternelle. Stupeur de la famille qui constate que ces fleurs ont poussé toutes seules près de la tombe. On sait que leurs bulbes sont extrêmement toxiques. Mais ces mêmes bulbes une fois séchés sonr utilisés comme cataplasme pour les femmes qui allaitent. C'est du moins ce que la grand-mère paternelle apprend à la narratrice.
Un peu plus tard, lors de la toute première rencontre entre la narratrice et ses beaux-parents, les deux femmes font à nouveau conversation sur les bienfaits de ces fleurs. On y apprend les débuts du fils Hiroyuki et les problèmes liés à son sevrage. Celà donne matière à discussion entre les deux femmes. Trois épisodes de la vie de la narratrice avec comme fil conducteur cette fleur. Courte nouvelle sans prétention.

Un troisième livre « Niwa » (Jardin), (2018, Shinchosha, 299 p.) partiellement traduit en anglais par David Boyd est paru au Japon en 2018. Il s'agit de 15 nouvelles à la fois humoristiques et dérangeantes.
La première nouvelle « Uragyu » narre l'histoire d'une femme qui retourne chez ses parents « Je divorce de mon mari. Je dois le signaler à mes parents ». Elle est emmenée par son grand-père pour un rituel mystérieux, dans lequel on retrouve le lis araignée. « ma modeste vie quotidienne se transforme de manière absurde, mes contours commencent également à fluctuer ». Au lis araigne l'auteur ajoute un gecko qui vit dans l'appartement, et « un petit crabe qui apparaissait souvent dans les bâtiments scolaires quand j'étais à l'école de filles ». Dans « Mères », la visite au jardin se fait parmi des fleurs étranges, et un sac mystérieux, avec dedans des tomates. « Nous avions un petit potager au fond du jardin, et les tomates étaient de saison, mais il n'y avait aucun moyen que ce soient les nôtres » Et fait étrange « la plupart de nos tomates s'étaient révélées déformées et non comestibles ». Dans « Visite à une tante », la narratrice rend visite à une femme dont le chien « Ancre » est parti. « C'était un chien de chasse. Maigre, avec un pelage lisse, une fourrure cuivrée ». Nouvelles étranges, et cependant agréables à lire.

Ceci dit, un conseil. Si vous voulez vous faire plaisir, il faut lire les deux tomes de « Alice au Pays des Merveilles » et de « L'Autre côté du Miroir/ La Chasse au Snark » dans l'excellente traduction de Henri Parisot (1968, 1969, Flammarion, 196 p., 236 p.) dans la regrettée collection « L'Age d'Or », avec une couverture de Max Ernst. Allez, en prime quatre vers du Jabberwocheux
« Il était reveneure ; les slictueux toves
Sur l'allouinde gyraient et vriblaient ;
Tout flivoreux vaguaient lrd borogoves ;
Les verchons fourgus bourniflaient »
Commenter  J’apprécie          30



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}