Citations sur Jules Ferry : La liberté et la tradition (17)
Tenir à la liberté, c'est accepter le conflit et la division, et rien ne le montre mieux que le débat à la chambre sur le bon usage de la lecture. Les adversaires du ministre de l'Instruction publique s'inquiètent des ravages moraux que pourrait engendrer l'accès généralisé aux livres. Car leurs bienfaits, pour les catholiques, résident dans la transmission des saines doctrines : le livre n'émancipe que si son contenu est bon. Les républicains, eux, dit fièrement Ferry, tiennent que le contenu du livre importe peu : l'acte de lire est en lui-même l'instrument de l'émancipation.
Les réformes qu'il a mises en œuvre continuent à tisser notre vie quotidienne. Et pas seulement en raison des écoles qu'il a rendu gratuites, obligatoires et laïques, et auxquelles on pense toujours quand on l'évoque. Car nous achetons au kiosque le journal de notre choix, sans crainte de la censure et sans restriction aucune, et nous avons oublié son rôle dans l'acquisition de cette liberté fondamentale. S'il nous est permis de nous réunir librement et , pour défendre nos intérêts légitimes, de rejoindre un syndicat, nous le lui devons aussi.
Il y a donc chez Ferry une recherche constante de l'équilibre : entre la nécessité du lien social et l'extension des libertés; entre un Etat fort, garant de l'unité, et une riche vie communale, garante de la complexité. Une tâche inépuisable qui suppose en permanence l'ajustement, la négociation et la transaction. Il admirait les nations et les hommes qui s'en montraient capables...
Le propos de ferry n'était pas seulement réparateur, il se voulait créateur : dans une France désormais vouée au suffrage universel, mais menacée par l'ignorance et l'atonie de la vie civique, faire des citoyens éclairés, aguerris et conscients, capables de résister à la fatalité qui emporte le régime républicain vers l'émeute, puis le césarisme, aiguilles d'une même horloge.
Entre province et patrie, nulle incompatibilité, une simple différence de degré : "L'âme de l'enfant passera sans effort de la connaissance et de l'amour de la petite patrie à la connaissance et à l'amour de la grande."
(...) dans une France désormais vouée au suffrage universel, mais menacée par l'ignorance et l'atonie de la vie civique, faire des citoyens éclairés, aguerris et conscients, capable de résister à la fatalité qui emporte le régime républicain vers l'émeute, puis le césarisme, aiguilles d'une même horloge.
Ferry est donc l'homme des attaches et des liens, chez qui règne la conviction d'appartenir à plus ancien que soi. Impossible, et du reste peu souhaitable, de trancher la touffe de racines du passé et de s'affranchir des souvenirs : il est, dès sa prime jeunesse, un homme de la mémoire et de la dette.
Il souhaitait délivrer l'enseignement secondaire de l'asséchante tyrannie du discours latin et faire aux sciences une plus large place. Mais il était conscient qu'un tel sacrifice avait "sa mélancolie", car il savait l'attachement de la bourgeoisie française aux études classiques. Et dans ce penchant naturel pour la tradition, il voyait à la fois une bonne fortune et un danger. Une bonne fortune car, dans un monde voué par l'industrialisation à la vulgarité et à l'uniformité, les études classiques réservent leur chance à l'amour du beau et au sens du droit. Mais un danger aussi, celui de méconnaître les besoins nouveaux en se trompant de siècle et de méthode. On ne peut demander au seul passé de dicter les principes de l'art social : la liberté conserve toujours sa capacité de les évaluer en fonction de ses propres critères.
Les adversaires du ministre de l'Instruction publique s'inquiètent des ravages moraux que pourrait engendrer l'accès généralisé aux livres. Car leurs bienfaits, pour les catholiques, résident dans la transmission des saines doctrines : le livre n'émancipe que si son contenu est bon. Les républicains, eux, dit fièrement Ferry, tiennent que le contenu du livre importe peu : l'acte de lire est en lui-même l'instrument de l'émancipation.
De Hugo, qu'il avait beaucoup lu, a-t-il retenu que la bourgeoisie est "la fraction contentée du peuple" ? Il la définit en tout cas comme "l'élite des travailleurs de toutes classes", et cette définition comporte une espérance. L'élite est nécessairement appelée à grossir avec les progrès de l'instruction, puisque telle est bien la vraie ligne de partage des classes : d'un côté ceux qui ont reçu une éducation, de l'autre ceux qui n'ont pas eu cette chance.