Je viens de terminer la lecture d'un livre publié par
Mona Ozouf en 1995 ; «
Les mots des femmes ».
En ces temps où bien des controverses resurgissent concernant la place de la femme dans la société, l'éducation des filles, les violences faites aux femmes et tout dernièrement « l'orthographe inclusive », ce livre se recommande par la finesse de ses analyses, qu'on les partage ou non, et, comme toujours avec
Mona Ozouf, par le simple plaisir que son écriture procure.
Mona Ozouf décrit le destin de dix françaises emblématiques : Mme du Deffand, Madame de Charrière,
Madame Roland,
Madame de Staël,
Madame de Rémusat,
George Sand,
Hubertine Auclert, Colette,
Simone Weil et enfin,
Simone de Beauvoir.
Le dessein original de
Mona Ozouf a été non pas de scruter les différents discours sur les femmes mais de décrypter le discours des femmes elles-mêmes en s'attachant aux pas – à la plume – de ces dix représentantes qui ont en commun d'avoir chacune écrit.
Cette série de portraits mêle celles qui croient au métissage des sexes comme Mme du Deffand et dont le salon est exemplaire de ce pouvoir oblique des femmes de l'Ancien Régime français , si étonnant pour les autres cultures, notamment pour un Anglais du XVIIIeme siècle, et celles qui comme Colette conçoivent les hommes et les femmes comme deux peuplades étrangères, parfois hostiles l'une à l'autre et qu'unissent à l'occasion des traités toujours rompus. On croise aussi des féministes comme
Hubertine Auclert ou
Simone de Beauvoir mais toujours – sauf pour Mme du Deffand - plane l'ombre tutélaire de la Révolution française qui, aujourd'hui encore, façonne les manières de penser.
Cette manière de penser en termes universels donne au féminisme français une coloration souvent paradoxale qui le distingue dès le départ, du féminisme anglo-saxon. Paradoxal, ce féminisme et cette manière de penser le rôle de la femme car la patrie des droits de l'homme est l'une des dernière à accorder le droit de vote aux femmes. Beaucoup ont tenté d'expliquer cette frilosité.
Mona Ozouf avance une idée intéressante : ce n'est pas la timidité des conceptions françaises qui est à l'origine de ce retard ; au contraire, c'est leur radicalité. Une radicalité – assez parente de celle au fondement de la laïcité à la française –qui pense l'individu en termes abstraits, sous l'étendard de l'universalité. L'aversion pour les intérêts particuliers dont la femme – appartenant à son foyer comme la religieuse à son cloître – est supposée prisonnière, l'exclut durablement d'une véritable égalité avec l'homme. La certitude française de l'universalisme et la répulsion qui en résulte pour tout communautarisme quel qu'en soit la nature, ont constitué un frein puissant à la reconnaissance de droits spécifiques aux femmes, comme par exemple les quotas…
On sent bien que le livre de
Mona Ozouf est extrêmement orienté et qu'elle éprouve une forme de rejet mêlé d'effroi pour les conceptions féministes anglo-saxonnes qui aboutissent -à ses yeux – à une véritable guerre des sexes.
Mais les choses évoluent et il est intéressant de repérer dans le texte d'
Ozouf, ce passage – écrit donc en 1995 – dans lequel est évoquée sans la nommer explicitement la problématique de l'orthographe inclusive : « le féminisme français a résisté à la réfection complète du lexique et de la syntaxe qu'ont entreprise, en édictant des codes de correction langagière, certaines universités américaines. Nulle université française ne remercierait ses étudiants d'avoir participé à son « ovulaire » (ovular) , extravagant substitut imaginé par une philosophe américaine pour le mot « séminaire » trop phallique à ses yeux. Il y a bien eu, sans doute quelques propositions de réforme, quelques livres écrits sur le genre des mots. Les femmes françaises n'en continuent pas moins paisiblement à porter le titre de « docteurs » ou de « professeurs » sans éprouver le besoin de leur ajouter le montre-sexe d'un « e » superflu ».
L'actualité récente semble annoncer la fin de ces temps « paisibles »…