- c’est toi que j’ai haï. J’avais tellement de haine envers toi que j’ai bien cru que j’allais en crever. Si mon oncle ne m’avait pas arrêté, je t’aurais tué. Et puis tu m’as sauvé la vie, et tu étais là chaque fois que j’avais besoin de toi ; et je t’ai hai pour ça aussi.
Il avait l’impression qu’au milieu de tous leurs mensonges, ce baiser était le seul éclat de vérité. Le fait qu’il parte le lendemain n’avait aucune importance. Il se sentait renaître du désir de donner ceci à Laurent : de lui donner tout ce qu’il permettrait, et de ne rien demander, savourant ce seuil délicat, car il représentait tout ce que Laurent acceptait de recevoir.
La grâce menaçante de Laurent le faisait paraître presque androgyne. Ou peut-être était il rare d’associer Laurent à un corps, tout simplement : on se trouvait toujours face à un esprit. Même lorsqu’il se battait, talonnant son cheval pour accomplir d’impossibles prouesses, son corps était assujetti à son intelligence.
Le passé pesait lourdement sur son cœur. Dans le silence de cette chambre obscure, rien ne pouvait l’en distraire. Il ne pouvait que penser, ressentir et se souvenir.
I don't know how this interrogation found its way into my bed. May I ask where I can expect it to travel next ?
L’espace d’un instant, leur regard lui fit l’effet d’un baiser, un échange qui mêlait toutes les sortes d’intimité.
Il voyait que Laurent était satisfait, qu’il savourait son acte de soumission pour sa rareté, son exclusivité. Damen avait l’impression d’être tout près de le comprendre, comme si Laurent se présentait à son regard pour la première fois.
Laurent ne recélait qu’une froideur patricienne, et si la pureté de son profil attirait le regard, les cicatrices de Damen prouvaient qu’on pouvait regarder, mais pas toucher.
– Je ne ferai rien que vous ne désiriez pas.
– Tu penses que je ne désire pas tout cela ?
Damen fit la révérence.
- Votre Altesse, dit-il.
- Tu es un homme. Lève toi, ordonna le régent.
Damen obéit, lentement.
- Tu dois être soulagé que mon neveu s'en aille, dit le régent.
Il n'était pas facile de répondre à une telle phrase.
- Je suis sûr qu'il fera honneur à son pays, dit Damen.
Le régent le dévisagea.
- Tu es bien diplomate. Pour un soldat.
Damen inspira profondément. En altitude, l'air se raréfiait.
- Votre Altesse, répéta-t-il d'un ton soumis.
- J'attends une vraie réponse, insista le régent.
Damen s'y essaya.
- Je suis... heureux qu'il s'acquitte de son devoir. Un prince doit apprendre à mener les hommes avant de devenir roi.
Le régent pesa ses mots.
- Mon neveu est un cas difficile. La plupart des hommes pensent que la faculté de commander coule naturellement dans les veines de l'héritier d'un roi... que ce n'est pas quelque chose qu'on doit lui apprendre de force, à contre-courant de sa nature viciée. Mais il fait dire que Laurent est un fils cadet.