Citations sur Tenir sa langue (142)
Dans le flot des sons qui sortent de sa bouche, il arrive que quelque chose surnage. Alors il faut attraper et tirer jusqu'à la rive, mettre en lieu sûr puis en pratique.
elle a dit que c'était si mauvais que ses oreilles se sont fanées et enroulées sur elles-mêmes en petits tuyaux.
Longtemps j’ai cru que la mention « autorisée à s’appeler Pauline » sur le décret de naturalisation, ça voulait dire autorisée à s’appeler Pauline ou Polina. Au choix.
Je l’ai cru jusqu’au jour où j’ai essayé de faire inscrire Polina sur ma carte d’identité à la mairie de Montreuil
….
J’ai perdu mon prénom russe. En sortant de la mairie, je me repasse en tête tout le temps où j’ai cru que je l’avais encore alors que je ne l’avais plus. Je l’ai perdu à Saint-Etienne. Sans même m’en rendre compte. Ca me donne envie d’y retourner.
Tu as un français impeccable. Impeccable. Une cuisine bien lavée. Pas de pelures coincées dans le trou de l’évier. Pas de taches sur la nappe. Même pas une miette accrochée à l’éponge. Mais si mon français est impeccable, le français de ma mère, il est quoi ? Et celui de mon père ?
L’accent, c’est ma langue maternelle.
Français sans accent ça veut dire français accent TV personnage principal…. Prendre l’accent TV c’est renoncer à tous les autres. Pas de cumul possible avec l’accent TV…. L’accent qui revient malgré toi, on le remarque et on se moque : T’as l’accent qui pointe.
C’est l’en-dedans qui sort au-dehors. C’est le relief qui fait tomber ta langue dans le domaine public.
A l’école, ce que mes copines disaient des iévreï, des zhidy ça me faisait de la peine. C’était blessant mais il fallait se taire, il fallait tenir. Et j’ai tenu. Que ça se sache - pour ma mère -, qu’on sache qu’elle est juive, c’était ma plus grande peur.
Ce que je veux moi, c’est porter le prénom que j’ai reçu à la naissance. Sans le cacher, sans le maquiller, sans le modifier. Sans en avoir peur….
C’est un héritage. Savoir que sa mère était libre de porter son prénomme naissance. C’est celui-là que je veux transmettre, pas celui de la peur.
Je veux croire qu’en France je suis libre de porter mon prénom de naissance.
Je veux prendre ce risque-là.
Je m’appelle Polina.
Russe à l'intérieur, français à l'extérieur. C'est pas compliqué. Quand on sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l'enlève. On peut même commencer à se déhabiller dans l'ascenseur. Sauf s'il y a des voisins. S'il y a des voisins, on attend. Bonjour. Bonjour. Quel étage ? Bon appétit.
Je pense plutôt à l'âme qui reste encore trois jours. Trois jours présente dans les endroits chers du défunt, les endroits de sa vie terrestre. Je ne connais pas les détails, je préfère ne pas, cette information me convient comme telle. Je me presse d'arriver à l'appartement. Nous sommes la nuit du troisième jour, je veux arriver à temps. Je fais un décompte avantageux qui me laisse plus d'heures pour étreindre son âme. Étreindre son âme morte avec mon corps vivant. Si ça se trouve on ne dit pas âme morte, on dit âme tout court. Si c'est profane d'avoir dit ça, j'espère que je n'ai pas perdu ma chance de l'étreindre pour autant. Je tiens à le faire, puisque c'est tout ce qu'on nous laisse.
Puis on laisse dérouler tous les hits d'Outiossov, jusqu'à ce que Les fenêtres de Moscou arrive. Moskovskié okna. Celle-là on la remet deux fois. Léonid Outiossov chante :
Voici qu'à nouveau le ciel s'assombrit
Les fenêtres s'allument à la tombée de la nuit
C'est ici que vivent mes amis
Et dans la lueur de ces fenêtres
Je cherche les traits de ceux qui me sont chers
Rien en moi ne brille plus fort qu'elle
Elle m'étreint et elle m'appelle
La lueur éternelle des fenêtres de Moscou
Elle m'est chère depuis toujours
Elle m'étreint et elle m'appelle
La lueur éternelle des fenêtres de Moscou
Sous vos fenêtres, je me presse d'arriver
Rendez-vous de mes jeunes années
Chères fenêtres, je vous souhaite d'être heureuses
Votre lumière plus que tout m'est précieuse