On déroule encore des rubans de mots mais dans tout ce qu'on dit il y a surtout ce qu'on ne dit pas, celle dont on ne parle pas, celle que la langue évite.
À la fin d'année, je passe de Polina à Poline. J'adopte un e en feuille de vigne. Polonais à la maison. Police à l’école. Dedans, dehors, dedans, dehors.
Russe à l’intérieur, français à l’extérieur. C'est pas compliqué. Quand on sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l’enlève. On peut même se déshabiller dans l’ascenseur. Sauf s’il y a des voisins.
Elle a raison mon avocate. N'importe qui aurait pu se noyer. Est-ce que pour n'importe qui on aurait parler de dette? Ah oui, dis l'avocate, mais ça c'est un peu le cas de tous les émigrés, non ?
C'est drôle de faire un exposé sur la sociologie des prénoms et de ne surtout pas parler des siens. C'est exactement ce qu’on a fait.
La Muraille de Chine c'est un immeuble sublime. On dirait un immeuble russe. Un immeuble immigré.
Moi aussi j'aimerais dire quelque chose. Participer. Il faut jouer sur le contraste. Ils sont forts d'être grands, je le serai d'être petite. J’œuvre les yeux, je lève les sourcils, je dis: C’est ici que nous allons habiter? C'est joli, on pourra quand-même mettre un petit banc pour dormir ? Rires, attendrissement, caresse sur les cheveux. La tension retombe. Mission accomplie.
Une protestation silencieuse doit savoir être visible.
L’accent qui revient malgré toi, on le remarque et on se moque : T’as l’accent qui pointe.
C’est l’en-dedans qui sort dehors. C’est le relief qui fait tomber ta langue dans le domaine public. Le même que celui des femmes enceintes. On veut savoir qui c’est là-dessous.
Russe à l'intérieur, français à l'extérieur. C'est pas compliqué. Quand on sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l'enlève. On peut même commencer à se déshabiller dans l'ascenseur. Sauf s'il y a des voisins.