Citations sur Tous immortels (29)
L'an 2021 est entamé alors que je continue de rédiger ce témoignage. Voici longtemps qu'ils sont partis.Tous envolés. Beïla, Boris, Dinah, Jean, Piotr, Romain.Disparus. (...)
Au moins mes disparus n'auront- ils pas subi la " tchouma", la peste, comme l'appelaient les Russes du temps de la Grande Catherine, ni son plus récent avatar baptisé Covid, qui s'est réveillé en Orient et parcourt le monde en tous sens, virus passant des bêtes aux hommes, décimant les faibles, malades et vieillards, obligeant les populations du globe à vivre sous le masque sanitaire, confinés que nous sommes ; " séparés " par décision de " pouvoirs publics",fort ignorants, tous ou presque devenus autoritaires sinon tyranniques face à bouleversement qui les dépasse. La ligne rouge entre bêtes et humains est donc rompue, mais qui est la bête ? Et qui aurait cru un instant à cette solitude ? Romain ?
( p.247)
JOLIE FEMME, Lesley Blanch ( 1ère femme de Romain Gary) .Détendue, fort soignée, mince, cheveux châtains, très anglaise de l'entre- deux guerres, indépendante et perspicace, véritable " woman of the world" , de celles débarrassées du qu'en-dira-t-on. On peut se la représenter en pensant à Gaby Morlay, piquante comédienne française de l'époque, et à Isabelle Huppert pour sa" présence " à la fois discrète et influente.Maîtresse d'elle-même, elle a été et demeure la délicate cicérone de son époux. Elle pratique l'art de la véritable politesse.Ses inspirateurs personnels? Les trois petits singes de la fable, ceux qui n' entendent pas le mal, ne le voient pas et ne le propagent pas.
( p.90)
Temps mort pour Romain. On commence à connaître ce type d'origine obscure, confuse : un juif russe ? lituanien ? polonais ? En tout cas pas français, ça c'est sûr. On sait qu'il a fait la guerre et qu'il y eut peu d'écrivains volontaires pour se battre. Ses éditeurs sont déçus par son manque de succès. Seuls certains artistes contestés l'apprécient : André Malraux, Arthur Koestler, Joseph Kessel, Roger Martin du Gard et surtout Albert Camus, dont il partage le pessimisme.
Rue de France à Nice, dans sa boutique, j'écoutais ma mère. Elle aussi était inquiète. On ne savait pas où était Romain.La panique baladeuse, c'était de famille. Partir ou errer, c'est continuer, espérer ? Trouver enfin l'endroit pour vivre ou désirer disparaître ?
( p.133 )
"Tu me demandes si le succès de La Promesse a amené de grands changements dans ma vie ? Tu sais, 196O, c'est la mort de Camus. Rien d'autre. Alors, A bout de souffle plus La Promesse de l'aube jamais tenue, qui sortent juste après sa disparition ça soulignait l'absurde, un trop-plein d'ironie. Je ne pouvais pas voir les choses autrement, non impossible".
Outre qu'il avait été son supporter dès le premier livre, fidèle, Camus l'avait défendu lors de la sortie de chacun de ses romans et surtout lorsque "Les Racines du ciel" fut violemment attaqué par les épigones "littéraires" de Vichy. Lui-même agressé à gauche par les sartriens et suspecté par la droite pour sa position sur l'Algérie inadmissible par tous les camps, Camus était de cette petite poignée de gens- ils se comptaient sur les doigts d'une main en ce qui concernait Romain- qui prouvaient par leur vie, par cette "continuité du sentiment profond", que la fraternité existe. Un juste, avec suffisamment de défauts pour être aimé.
(p. 254)
Il (***Romain Gary) en avait assez de ce traitement nonchalant sinon méprisant et toujours négligent que lui réservait la presse à la sortie de chacun de ses romans. Il y avait autre chose encore, une autre " raison".Il voulait changer.
- Vivre autrement, tu vois ?
Ce jour là je l'avais longuement écouté et j'avais compris que l'éditeur ne serait pas informé de la véritable identité de l'auteur que Romain allait inventer. J'étais certain qu'il réussirait. Je ne pensais pas y être mêlé. En revanche, je me demandais combien de vies un homme peut supporter.
( p.378)
Gary n'était " chez lui" que dans le travail du roman: en train d'écrire. Isolé. Le bonheur quotidien n'était pas, n'avait jamais été son but.Fini depuis la petite enfance.
( p.249)
Et là, avec un drôle de calme, Jean m’a parlé de ce début d’été à Nice en 1957 :
– Quand j’ai perdu mon bébé. Mon premier bébé. (silence) J’étais sur un lit, l’infirmière m’a dit : “Vous pouvez partir. Ne prenez pas d’aspirine. Si vous saignez, allez immédiatement chez votre gynécologue”, et elle m’a mis un bocal en verre sous le nez : “Votre fille.” »
Gary veut que je n'existe pas. Il veut que je sois seulement l"interprète provisoire du personnage Ajar, suivant ses indications. Cela signifie disparaitre, immobilisé dans le rôle de l'absent, l'ombre qu'il projette afin de se dissimuler. il se protège, il ne se soucie pas du reste.
On écoute plus volontiers les gens qui ne cherchent pas absolument à vous convaincre. Probablement parce que l'on devient sensible à leur liberté d'esprit.
( p.275)