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Critique de LaBiblidOnee


Depuis le temps que je voulais ce livre, introuvable à prix raisonnable, j'ai enfin eu l'occasion de le lire en numérique. Ne sachant pas exactement à quoi m'attendre, je croyais assister aux pensées d'un vétéran centrées sur l'expérience de la guerre du Vietnam. En réalité, il s'agit d'un récit autobiographique de Doug Peacock dans lequel il parle d'abord de son ami… Edward Abbey : Un auteur que j'adore, ayant beaucoup aimé me promener dans son Désert solitaire, et bidouiller avec son Gang de la clé à molette. Pour quelqu'un qui ne s'intéresse ni à Abbey, ni à ses écrits, je ne sais pas si ce récit de Peacock serait intéressant. Mais pour moi, ce fut une mine d'informations. J'y ai par exemple découvert que le personnage de George Hayducke dans le gang de la clé à molette est totalement inspiré de Doug Peacock, à son grand dam ! Or, ce personnage de George est mon préféré dans le Gang, celui qui m'a semblé le plus intriguant. Dans cette biographie, on retrouve donc l'idéologie écolo des deux amis, celle qui les a reliés en dépit de leur différence d'âge et qui est à l'origine du gang de la clé à molette et, plus généralement, de tous les livres d'Edward Abbey. On en apprend beaucoup sur Abbey lui-même, en particulier sur sa fin de vie. Si Abbey nous a livré Peacock sur un plateau dans ses romans, celui-ci lui rend la politesse en l'explorant à son tour. Cela dit, à travers cette amitié et ce double fictionnel, c'est bien à la recherche de lui-même que part Doug Peacock en écrivant ce bouquin.


« Abbey me rendit sans doute service en créant une caricature de moi-même dont je percevais la nature obtuse quand la mienne m'échappait. Il avait dépeint l'ex-Béret vert Hayduke par touches précises, comme un homme pris dans un marécage émotionnel, et il me donna l'envie d'en sortir. La seule chose pire que de lire ses propres écrits est de devenir le personnage de fiction d'un autre. »


Comme le George du roman, Peacok a une guerre dans la tête qu'il aimerait bien s'enlever de là : Celle du Vietnam, de laquelle il est revenu avec des syndromes de stress post traumatique encombrants et handicapants pour sa vie familiale, amicale et professionnelle. Il est aussi revenu de cette guerre avec une colère sourde contre le Gouvernement et son autorité, ainsi que contre l'action humaine en général, les actes de ses semblables : inhumains et violents. «Plus jamais je ne tuerai un inconnu, mais je donnerai ma vie pour préserver une terre sauvage.» Aussi lorsqu'il rencontre Abbey, son adoration pour la nature lui procure un certain apaisement : randonner dans de grands espaces inexplorés et presque vierges permet tout à la fois de renouer avec une certaine pureté, d'ordonner ses pensées au rythme apaisant de la marche, de retrouver une forme de paix avec soi-même que personne ne vient déranger. de s'inspirer de la force de la nature. de caler l'esprit sur le corps, qui devient plus sain à mesure que la marche dure. Un esprit plus sain dans un corps plus sain, c'est le but que vise Doug Peacock - il est d'ailleurs intéressant de lire comme Abbey décrit le corps de George comme athlétique et viril, tandis qu'en vieillissant, Doug ne cesse de répéter que la marche vise aussi à lui faire perdre son trop plein graisseux en même temps que son trop plein émotionnel. Evacuer. La randonnée est le chemin pour y parvenir. Mais ce cheminement n'est-il pas un but en soi, finalement ? Qui serait la recherche de soi-même, l'adéquation corps-esprit quand la civilisation nous fait nous égarer.


« Comme Abbey, j'ai toute ma vie cherché un juste équilibre entre l'amour de mes proches et les marches solitaires en pleine nature. Il n'y a pas de canyon plus profond que la solitude. »


La rébellion d'Abbey contre les actions institutionnelles amochant la nature ont doublement du sens pour Peacock : Elles lui permettent de défendre ces refuges naturels, où il peut vivre en solitaire, en même temps que d'exprimer sa colère contre l'autorité gouvernementale. Ainsi Abbey et Peacock explorent, mais aussi sabotent. le gang de la clé à molette, c'est eux. Eux qui veulent préserver la nature, car seule sa beauté virginale parvient à leur faire apercevoir la beauté de ce monde qu'ils ont tendance à voir noir et laid - du fait de leur tendance commune à la dépression, causé par leur état de santé respectif, différent mais défaillant. « Je m'efforce d'absorber toute la beauté que contient le monde ». Lorsqu'on lit ce récit, on retrouve les caractéristiques de personnages du Gang, et l'on comprend beaucoup de chose du roman. Et en visualisant de vraies photos de Peacock jeune, je me rends compte à quel point Abbey était un auteur doué car elles correspondent exactement à l'image de George que sa plume avait forgée en moi.


Je n'ai pas été immédiatement subjuguée, en revanche, par la plume de Peacock : ses descriptions de la nature n'ont rien de comparables avec celles de Thoreau ou Abbey. L'intérêt premier de cette lecture fut donc de me replonger dans l'univers d'Abbey et de Hayduke, de l'approfondir, de rencontrer George. Mais au fil de cette lecture, j'ai finalement rencontré Peacock himself, en même temps qu'il a dû se (re)trouver en l'écrivant : Perdu, ne sachant plus où il en est et comment se définir au retour du Vietnam, c'est en décryptant son amitié et son double fictionnel que Peacock se présente à nous, et qu'il essaye de démêler le vrai du faux dans sa tête, où la guerre fait encore rage. C'est le cadeau que lui a fait Abbey. C'est donc seulement dans ce second temps que Peacock est parvenu à me faire entrer dans sa tête, son paysage, son naufrage matrimonial et ses épopées de nature writing, notamment avec les grizzlys qu'il excelle à dépeindre. le ton de son récit a alors fini par m'imprégner, lorsque les nombreuses facettes de ce récit ont commencé à interagir entre elles. J'ai été projetée de plein fouet dans la guerre qui faisait rage dans sa tête, ballotée entre les images du Vietnam, son âme blessée, son coeur qui saigne. Et cet espoir de rédemption dans la nature, qui le rattache au monde physique : celui de la vie, et des vivants.


Un besoin de terres sauvages que Laurens van der Post résume ainsi : « De retour aux premiers temps de l'humanité, lorsque tout était vivant, magique, empreint d'un magnétisme frémissant puisé à la plénitude du Créateur, quel qu'il soit. Et je vécus là quatre semaines entière, et peu à peu, grâce aux animaux, je fus rendu à moi-même, à mon humanité ».
C'est là, parmi les grizzly, que Douglas Peacock se sent rendu à la sienne. C'est en définitive un récit différent de ce à quoi je m'attendais, mais bien plus riche, qui se termine par une randonnée dans un lieu où « la guerre et le désert - mes deux sujets de prédilection - se rejoignent. » Peut-être l'espoir que toutes ses expériences et facettes de lui-même ne sont pas si incompatibles. En tous cas je referme ce livre avec la furieuse envie de lire son récit sur les grizzlys !


« vingt-cinq ans à ressasser la guerre dans la rage, ça fait trop. Ça laisse des traces. La guerre a duré trop longtemps. »
« Le guerre est finie, me dis-je. C'est vrai, ma guerre est finie. Libre à moi de canaliser ma férocité de nouvelles façons, d'apporter un peu de cette nature sauvage à ceux que j'aime. »
« La marche m'a délivré. Je rêve l'espoir de la joie ».
« Je voudrais aussi retomber amoureux. (…) J'hésite pourtant à l'idée de vivre une nouvelle passion, de risquer une blessure ».
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