Mais, contrairement à la plupart des gens de son âge, le vieillard attendait quelque chose de précis. Quelque chose qui n'était pas la mort. Ni la prochaine quinte de toux - même s'il savait qu'elle allait venir.
— Ça commence à prendre forme, reprit-il, pendant que son regard s’attardait sur les hanches de son assistante.
— Ça suffit, espèce de voyeur !
Mais ce n’était pas vraiment un reproche. Plutôt une vieille blague, une formule rituelle qui permettait à chacun de savoir où il en était.
— Le Seigneur a créé la beauté de l’univers pour réchauffer le cœur des vieillards, protesta sentencieusement le malade. Vous ne pouvez pas aller contre sa Volonté !
Cette fois, l’indignation manquait encore davantage de conviction. La jeune femme répliqua avec quelques remarques tout à fait crues sur les vieux rabbins voyeurs et les châtiments qui leur étaient réservés dans l’au-delà.
Ce jeu d’ombres et de coulisses le captivait. Il aimait l’impression que lui procurait son travail, parfois, de jouer un rôle, de peser sur les événements mêmes comme instrument du rabbin, il se sentait plus important, plus près d’un pouvoir réel, que pendant tout le reste de sa vie désabusée.
Au début, il l’avait fait par désœuvrement. Parce qu’il avait tendance à considérer tout l’univers comme un grouillement d’appétits absurdes et d’obstinations futiles. Ça faisait quelque chose de nouveau à essayer. Puis, peu à peu, il s’était pris d’affection pour ce vieillard qui semblait partager avec lui le même regard désabusé sur les choses et qui, pourtant, poursuivait son combat avec un acharnement tranquille.
Mais, contrairement à la plupart des gens de son âge, le vieillard attendait quelque chose de précis. Quelque chose qui n'était pas la mort. Ni la prochaine quinte de toux - même s'il savait qu'elle allait venir.