Dérapages

Ce n’était pas un film. Des séquences de mémoire, hachées, et qui se rassemblaient vaille que vaille, en dépit du bon sens, suivant une chronologie éclatée, dispersée. Ou bien, qui sait, pas si dispersée que cela. L’impact émotif jouait probablement un rôle dans l’ordre des résurgences.

Les bruits qui courent, comme ceux-là, finissent bien par arriver au but. Ça commence par un murmure et ça finit par un grand bêlement.

Si l’on veut, on peut.

Le monde entier était dressé contre lui, il le savait, à présent. Il ignorait pourquoi, mais c’était l’évidence même et il n’était certainement pas de taille à résister. Il ne pouvait que se cacher. Supplier de toutes ses forces pour que l’univers bascule à nouveau et reprenne un bon ordre des choses… Calice ! Supplier qui, quoi ? Prier ? Quelle foutaise !

Il suffisait de pénétrer une fois dans cette rue pour être persuadé du fait : à quelque moment que se produise la visite, on était sûr qu’il en était de même, au sujet de la lumière, à tout autre instant du jour ou de la nuit. On le sentait.
L’éclairage, artificiel ou naturel, était très mauvais.

Le dédale des rues était un labyrinthe qui n’avait pas de secrets pour lui, selon toute évidence, et pourtant c’était un décor inconnu, parfaitement inconnu, un décor qu’il découvrait au fur et à mesure de sa traversée. Plus exactement, il n’y prêtait pas réellement attention. Il passait, comme attiré par le but qu’il s’était fixé, et il savait, tout en passant, que les lieux traversés ne correspondaient pour lui à rien de connu. Il n’avait pas besoin de réfléchir sur le choix de telle ou telle rue, afin de mener sa course au plus court : la ligne était tracée, le fil tendu, et il suivait le fil.

...si vous voulez vraiment savoir, il vous reste le choix entre deux sources de renseignements. Premièrement : les livres d’Histoire. Secondement : les bavards de L’Outardière. Il existe peut-être un petit bout de chance pour que les livres d’Histoire (l’H haut comme ça, tout doré, tout clinquant, tout respectable) collent d’assez près à la vérité des faits, mais soyez assez malin pour faire le tri et rejeter les interprétations de l’auteur. Mais pour le plaisir pur, préférez le bavard qui aura gardé dans ses veines, Dieu sait comment au bout des siècles, trois gouttes de sang de son ancêtre truchement qui savait tout, connaissait tout, qui était roi… et tant pis si le bavard pour son plaisir à lui tout autant que pour le vôtre magane un peu la vérité…

C’était peut-être bon, la colère. C’était peut-être à ne pas oublier, à conserver, et puis à alimenter ; une bonne sainte colère, c’était de taille à lui faire accomplir des exploits, du genre de cette colère qui lui claquait parfois la gueule, au bout d’une virée dans les bars, quand on a trop avalé de caribou de contrebande.

Il vivait réellement dans cette portion de temps futur, dans cet automne, et la terre gelée était bel et bien dure et cassante sous ses semelles.
Et ses semelles n’étaient pas celles de tennis d’été, mais les semelles de cuir crantées de brodequins solides. Le genre de brodequins que l’on chausse habituellement en automne.

On dit parfois : « Si cet endroit pouvait se souvenir et raconter… » et on accompagne ce préambule (qui ne sera jamais mieux qu’un préambule) d’une grimace pleine de sous-entendus…