Je lève les yeux au ciel et il me semble que les nuages filent anormalement vite, que le vent les balaie pour faire place au soleil.
C'est quelque chose que j'avais déjà remarqué :
cette passion du détail chez ceux qui racontent une anecdote de leur passé, ils veulent vraiment nous dire comment ils étaient habillés, ce qu'ils avaient mangé ou le temps qu'il faisait, ils y tiennent bizarrement. (...)
Djalil revient à son récit et subitement je comprends ce besoin de précision.
C'est du respect pour ce qui a été. Il rend hommage à ce qui a eu lieu, pour l'unique raison que cela a eu lieu. Avec le temps, seul demeure l'essentiel.
Ce soir, c'est mon tour de dormir avec maman. Tout compte fait, ce sont des moments que j'aime bien. Parfois, tout est silencieux et elle semble paisible, je me sens heureux auprès d'elle et je m'endors à mon tour, je plonge dans des rêves simples et doux, des scènes de campagne, de plage, de famille réunie, des rêves où elle est toujours là, souriante, discrète mais centrale. Bien sûr, il y a aussi des moments où elle souffre, l'agitation la gagne et alors le sommeil apparait comme le Graal, le bonheur le plus pur, et je lui répète que je suis là, je continue à lui parler tout bas même quand elle semble ne pas m'entendre et je me dis que ma place est vraiment à ses côtés.
Sans s'en rendre compte, Mathieu ne parle que de lui depuis une demi-heure. Comme tous les autres d'ailleurs : l'avocat général, la présidente de la cour mon avocat, et même les magistrats ... Ils ne parlent jamais que d'eux-mêmes. Dans la vie, chacun ne parle jamais que de lui. Moi, souvent, je préfère me taire, c'est peut - être pour ça.
Mais je n'ai pas eu le temps de répondre, ils s'étaient tous déjà levés, dossiers sous le bras, prêts à partir. De toute façon, c'est le genre d'homme qui pose les questions mais ne perd pas de temps à attendre les réponses.
Je crois bien que c'est ça, l'amour vrai : aimer un être sans le comprendre tout à fait.
On peut tout supporter pour soi mais on ne peut pas supporter le mal que sa propre situation inflige aux autres.
Certains ne se sont pas vus depuis longtemps et sont contents de se revoir, même pour un enterrement.
Elle a dit que j'ai eu de la chance d'avoir une mère comme ça. Elle ajoute que ce sont les femmes qui portent les enfants, pas les hommes, et que tout ce qu'on demande aux hommes, c'est au moins de s'en souvenir.
Je lui dis que je ne veux pas de son espoir parce que l'espoir es un poison : un poison qui nous enlève la force d'aimer ce qui est là.