AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de RogerRaynal


Le livre est, comme les précédents oeuvres « japonaises » de B. Lacombe, de fort belle facture : belle reliure, signet, couverture rigide épaisse et solide avec une partie en relief argentée, deux quadriptyques dépliables, un beau papier bien lisse : les éditions Oxymore et l'imprimeur TG Soler, à Barcelone, ont fait de la belle ouvrage tout le long des 185 pages que compte le livre.
À travers l'histoire du Japon, c'est l'histoire et la légende de sept femmes combattantes qui nous est ici contée.
Les illustrations de B. Lacombe sont superbes, parfois accompagnées de leurs croquis préparatoires que l'on retrouve dans le reste du livre. On y retrouve beaucoup de tons bleutés, chers aux maitres de l'estampe, et il est amusant d'identifier les oeuvres célèbres qui, comme dans ses précédents livres, ont inspiré l'artiste : ainsi, la bataille aquatique des p. 34 et 35 rappelle « la princesse Tamatori au palais du dragon », de Utagawa Kuniyoshi, alors que la fresque épique des p. 70 et 71 intègre, dans sa partie droite, un amusant rappel de la « Bataille des grenouilles » de Kawanabe Kyosaï.
L'ouvrage s'ouvre et se termine (en quatrième de couverture) sur une fameuse citation de Simone de Beauvoir sur la fragilité des droits des femmes. Outre que cette autrice n'a que de lointains rapports avec le Japon, elle donne le ton à un ouvrage qui se veut, à mon sens, dans sa préface et hélas dans certains textes, un peu trop militant. Après avoir loué les illustrations, parlons des textes.
Si la préface de l'historien Matthias Hayek sur les femmes samouraï est irréprochable et utile, celle de B. Lacombe, consacrée aux raisons pour lesquelles ces dernières ne sont que peu célébrées dans l'histoire du Japon, présente une inexactitude, lorsqu'il affirme « le roman et les nouvelles ne sont pas très en vogue dans la littérature japonaise, qui préfère la poésie ou le théâtre ». La littérature Japonaise, bien au contraire, donne une très grande place aux nouvelles, genre par lequel ont débuté presque tous les écrivains japonais de notre siècle et du précédent. Dans l'histoire, les grands romans, les « dits » ont accédé à la postérité, alors que les transcriptions des pièces de théâtre No restent bien plus confidentielles…
Les précédents ouvrages japonais de B. Lacombe (à l'exception de Mme Butterfly) reprenaient les textes de Lafcadio Hearn. Ce dernier a bien écrit sur les femmes japonaises (Femmes du Japon – Puissance et secrets), mais pas sur les guerrières de son histoire, et avec la vision d'un homme du XIXe siècle…). Ici, c'est Sébastien Perez qui, à partir de rares textes fragmentaires, a reconstitué leur histoire. C'est là un travail difficile (je suis bien placé pour le savoir, ayant dû faire de même pour mon livre sur les histoires et légendes de chats au Japon). C'est du moins ce qui est dit dans la préface. Pourtant, les ouvrages consacrés à l'histoire des femmes amourai ne sont pas si rares, même en dehors du Japon, comme par exemple Femmes et samouraï, de Hidéko Fukumoto et Catherine Pigeaire, paru en 1986 aux éditions des femmes ; ou bien plus récemment Samurai Women 1184-1877, de Stephen Turnbull ; ainsi que Koume's World : The Life and Work of a Samurai Woman Before and After the Meiji Restoration, de Simon Partner, chez Columbia University Press.
Si le travail de S. Perez est pour l'essentiel d'une grande qualité, il pêche parfois par quelques maladresses que même les savantes relectures d'un historien comme M. Hayek n'ont pas pu débusquer, l'historien n'étant pas un écrivain. Passe encore que l'on abuse des phrases (très) courtes, c'est à la mode, ou qu'il subsiste un point oublié entre deux phrases, mais il y a quelques incohérences plus fâcheuses. Ainsi :
- p. 68, « je ne manquais jamais ma cible, qu'elle soit immobile ou volubile ». Une cible volubile doit elle être habitée d'un yokaï bavard, ou bien, comme en botanique, faut-il comprendre qu'elle est grimpante ? Il y a là un contresens manifeste sur ce mot…
p. 125 et 126, il y a confusion, dans le récit du combat contre le samouraï, de l'identité des deux soeurs. Alors que c'est la cadette Shinobu qui se fait projeter en avant par le guerrier, c'est sa soeur Miyagino qui, ensuite, se retrouve à sa place…
p.146, commencer l'histoire par un « bang! » est quelque peu enfantin. L'histoire aurait pu commencer directement par la seconde phrase.
p. 148, une incohérence : comment Yamamoto Yaeko peut-elle avoir « les yeux rivés sur chacun des visages » des cadavres qu'elle enjambe alors même « qu'un épais brouillard entourait les cadavres » ?
de plus, bien qu'il y soit fait abondamment référence dans les textes, l'arme la plus utilisée par les samouraï masculins n'était pas le célébrissime katana, mais l'arc (yumi) ou la lance (yari), dès le XVe siècle. C'est d'autant plus surprenant que les illustrations de B. Lacombe montrent parfaitement l'importance primordiale des flèches et des lances, comme la sublime composition des p. 46-47, où cette fresque de combat (p.70-71) où nombre de guerriers, percés de nombreuses flèches, sont autant de références à une esthétique de la souffrance qui n'aurait pas déplue à Mishima Yukio !
Sur les 185 pages au format A4, les sept histoires proprement dites en représente 134, soit 72 %. Elles sont suivies de sept pages de notes utiles donnant la définition de termes japonais, et de deux pages de « jeux » qui sont surtout l'occasion pour B. Lacombe d'exercer son art en reproduisant des jeux de l'époque Edo.
Un bel objet où il faut voir les textes comme un accompagnement des illustrations plutôt que l'inverse, et qui donne l'occasion de rendre justice à des héroïnes qui n'avaient jusqu'ici laissé que peu de traces dans l'histoire du Japon.
Commenter  J’apprécie          51



Ont apprécié cette critique (4)voir plus




{* *}