L'orgueil lui sert de maintien.
Avec ces grands murs que sont l'art et les sentiments, elle a espéré repousser la mort. Les visiteurs se sont souvent trompés. Ils ont perçu Lise terrifiante, ricaneuse, redoutable. Colérique. Dure. Un peu folle. Et si, au fond, elle était seulement désemparée.
Un jour, Vian a confessé à Lise que s'il jouait de la trompette, c'était pour ne pas entendre les battements de son cœur. Elle aurait pu répondre : et moi, si j'écris c'est pour les entendre à nouveau.
La séduction est sa délicieuse drogue. Ainsi, elle existe.
Mes parents sont trop riches pour être gentils, pense Lise. Elle décide que ses amies composeront sa seule famille.
Quelle merveille... Rien ne lui paraît plus splendide. Une pierre précieuse, mais vivante. Lise ramasse une limace orange et grasse.
Edgard et Victoire sont là, à sangloter.
Renfrognée, Lise affirme haut et fort que ces deux personnes ne sont pas ses parents. Elle veut rester avec la sublime rousse pour toujours, et surtout pas rentrer à Forges-les-Eaux dans une auto.
Ce petit tabouret n'est ni trop haut ni trop large, constellé de pierreries qui brillent dans les lueurs orangées des flammes. Délicieusement installée, réchauffée, l'enfant commence à somnoler.
Lorsque, juste avant l'endormissement, pareille à un serpent se dressant sous le chant d'une flûte, une tête reptilienne surgit entre les jambes de Lise. Elle ne crie pas, ne bouge pas, stupéfaite, charmée. Le tabouret est une tortue. Tout est normal. Et inspirant : c'est en voyant de Montesquiou et sa tortue que Joris-Karl Huysmans a écrit une scène fameuse avec une tortue aux écailles incrustées de pierres précieuses, dans "A rebours".
En 1966, Lise fait un rêve. En remontant le boulevard Saint-Germain, elle tombe sur André Breton qui s'apprête à entrer dans la galerie d'art Roudillon. Il est pourtant mort depuis quelques mois mais il se trouve devant elle. Et, de sa voix puissante, lui lance :
"Lise, la mort n'existe pas."
Elle en pleure d'émotion.
"André... Vous êtes là près de moi... Qu'est-ce que vous faites ?
- Ne soyez pas triste. Oui, c'est bien moi."
Et, comme s'il s'époussetait, André Breton s'enlève des morceaux de chair. Lise est fascinée.
"Dites-moi. Est-ce que le passage vers la mort est affreux ?
- C'est beaucoup plus que ça, mais ça ne dure pas. Après, c'est merveilleux."
Dans les romans de Lise Deharme, les végétaux se meuvent félinement.