Citations sur Les arbres ne nous oublient pas (18)
Les arbres peuvent mourir, les maisons tomber en ruine, mais la lumière, elle, ne change pas. Et nul, s'il ne l'a vécu, ne peut imaginer ce qu'est la lumière dorée d'un soir d'octobre dans la campagne d'Algérie, quand les ombres s'allongent et que l'herbe est déjà grasse. (P24)
Ce n’est plus du tout la même
Algérie et celle qui m’accueille est aussi très différente de
celle de mon enfance, de celle que j’ai connue lors de nos
deux voyages éclair et surtout de celle qu’on nous présente
en France. Est-ce l’effet du temps qui a passé, est-ce l’air
plus léger des provinces de l’ouest ? L’Algérie entre ciel et
terre, comme se plaît à le dire Daoud26 semble vouloir
retrouver cette vocation du bonheur si présente encore dans
les souvenirs des Pied-noirs. Certes, trop de corrompus ont
encore accès aux allées du pouvoir, certes, le nombre de
désœuvrés dans les rues est impressionnant, certes, les
imams ont tendance à prêcher une religion vétilleuse...
Dans cette cour, devant la demeure paternelle, il n’y a plus de vigne vierge, il n’y a plus de pigeons ni de pigeonnier, il n’y a plus de géraniums, l’accès au bassin a été muré et le beau bougainvillier qui s’y adossait n’est pas encore en fleurs. Il n’y a plus que la douceur d’un après-midi de mai et deux anciens encore alertes qui essaient difficilement de trouver la voie vers le passé, cette histoire vieille de plus de soixante ans et le souvenir si fort des jeux et des joies de notre enfance commune. Les autres nous entourent et écoutent, essayent de comprendre ce qu’ils ne comprendront jamais, les soirs d’été à faire de la planche à roulette dans la cour poussiéreuse, les soirs d’hiver à jouer au couteau dans la terre moussue de décembre, les parties de foot des garçons, du côté de l’aire à battre – nous, les petites filles n’étions que spectatrices. Les grandes, immenses soirées d’été et la poussière urticante du blé en grain. Les parties d’osselets. Et notre innocence.
Un élan nous pousse l’un vers l’autre, nous avons la gorge serrée, nous nous donnons l’accolade. Nous savons que nous ne nous reverrons sans doute jamais. D’ailleurs, y tiendrions nous ? Nous ne sommes que le croisement de deux lignes de vie…
J'avais une ferme en Algérie...
Une phrase à la Karen Blixen, si transparente, si chargée de la mélancolie du temps jadis. Si désuètement coloniale, anglo-saxonne même, avec casques blancs, voiles et jupes longues, genre memsahibs sirotant leurs thés sous leurs vérandas, par exemple. Et quelques indigènes très gentils et de préférence humbles et serviables en fond de décor.
Mais voilà, outre que l'Algérie, ce n'était pas tout à fait ça, je n'ai jamais eu de ferme en Algérie. Cette ferme, (si tant est qu'on possède quelque chose en ce bas monde), a appartenu à mon arrière-grand-père qui l'a créée, à mon grand-père qui l'a embellie puis à mon père qui l'aimait et l'a perdue. Elle n'a jamais été à moi, je n'y suis même pas née, je suis née à Oran. Elle s'appelait Saint-Jean, j'y suis arrivée toute petite, si petite que cette terre m'a engloutie. Elle a façonné mon enfance.
Dans ce retour vers un si lointain passé, l’étonnant est de sentir sans cesse des souvenirs perdus remonter en surface et éclater comme des bulles. Des souvenirs minuscules, qu’on n’avait jamais convoqués et qui vous sautent au cœur.
D'abord sont venues des photos de l'Oran éternel, Santa Cruz, son acropole emblématique sur fond de mer sublime, suivies de photos des plages, ces vagues claires sur fond serein que rien n'arrête jamais dans leurs bercement et qui se moquent de notre histoire.
Mais le plus horrible massacre s’est passé bien plus tard, un jour de septembre 1997, toujours au même endroit, dans cette même forêt de Guetarnia : onze institutrices ont été massacrées pour avoir persisté (que pouvaient-elles faire d’autre ?) à dispenser leur enseignement aux écolières d’Aïn-Adden. Le car qui les ramenait à Sfisef a été arrêté par un barrage d’islamistes forcenés : ils ont fait descendre les jeunes femmes et les ont égorgées froidement, méthodiquement, ainsi qu’un enseignant qui essayait de s’interposer. Douze morts, coupables de s’être obstinés à instruire des jeunes filles : tout le monde sait bien que c’est péché pour une fille d’apprendre à lire et à écrire. Ce jour-là, il pleuvait à flots, comme si le ciel lui-même avait pleuré ces jeunes mortes.
Douze morts, coupables de s'être obstinés à des jeunes filles : tout le monde sait bien que c'est péché pour une fille d'apprendre à lire et à écrire. Ce jour-là, il pleuvait à flots, comme si le ciel lui-même avait pleuré ces jeunes mortes.
Un élan nous pousse l'un vers l'autre , nous avons la gorge serré , nous nous donnons l'accolade . Nous savons que nous nous reverrons sans doute jamais . D'ailleurs y tiendront nous ? Nous ne sommes que le croisement de deux lignes de vie ...
Alors , pendant que le soleil se couchait , dans le plus beau domaine du monde , sur la plus belle terre du monde , mon cœur s'est serré en pensant à lui , mon père , qui avait si pleinement , si naïvement aussi , aimé cette ferme et qui l'avait perdue .