Nul besoin d’écrire 800 pages pour communiquer une foule d’émotions...
J’avais beaucoup aimé le roman « Terre du vent, une ferme en Algérie » – à peine autobiographique – qui contait les découvertes de la petite Choune sur l’exploitation de son père, dans les dernières années d’une colonisation que certains croyaient heureuse.
Ce texte-ci, ramassé, dense, sincère, est le témoignage poignant du retour, plus de soixante années plus tard, de l’auteur sur cette terre d'enfance éclatante, de vent et de lumière : l’Algérie. Un regard de tendresse sur un pays de promesses non tenues, encore largement à construire …
La redécouverte du domaine des premières années, laissé à l’abandon, lacéré, défiguré mais dont l’atmosphère particulière, l’odeur, le bruit du vent dans les arbres encore dressés, demeure … « décrépitude et splendeurs ». Le livre est un hymne à l’hospitalité millénaire des Algériens.
Le pèlerinage commence avec la redécouverte d’Oran, capitale de l’ouest, trépidante, gaie, malgré la crise économique qui touche particulièrement les jeunes désœuvrés, malgré les stigmates d’un passé qui, décidément, ne passe pas comme le rappelle justement la citation de William Faulkner en exergue : « The past is never dead. It’s not even past. »
Les souvenirs remontent à la surface et éclatent comme des bulles, dit joliment l’auteure : « Des souvenirs qu’on avait jamais convoqués et qui vous sautent au cœur. »
Malgré la violence de tous bords qui a saisi ce pays béni de la nature, pendant la guerre d’indépendance puis la décennie noire, malgré la façon cruelle dont les colons – les plus modestes comme ceux qui possédaient des centaines d’hectares – furent contraints au départ sans un regard en arrière, cette chronique d’un retour tardif et désintéressé au paradis perdu de l’enfance porte en elle la joie de vivre, l’espoir d’une renaissance, la passion d’un paysage, d’un peuple, le souvenir vivant de parents exceptionnels.
Georges Perret, le grand patron de la ferme Saint-Jean, avait seulement deux ans de plus de mon père lui aussi vénéré. La maison de mon enfance aussi a été vendue, elle est toujours debout. Si elle est toujours campée en France, jamais je ne la reverrai. C’est sans doute pourquoi j’ai apprécié ce livre : bienveillance, lucidité, puissantes évocations, style impeccable … quelques heures de lecture émouvante. Un pur plaisir.
A mettre en parallèle : "L'art de perdre" d'Alice Zeniter" ...
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Oh! Que j'ai aimé ce carnet de voyage en Algérie, qui décrit tout à tour l'époque coloniale et l'époque contemporaine... L'enfance de l'auteure dans une ferme et la réalité de la vie dans l'Algérie d'aujourd'hui.
Un livre à la fois autobiographique mais aussi historique; qui permet de comprendre une période de l'histoire et même d'en tirer des leçons pratiques, pour peu que l'on ait des envies d'expatriations!
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De beaux souvenirs confiés avec générosité,
Des détails lointains, occultés , qui resurgissent au gré de ces pages ensoleillées,
D'autres réminiscences douloureuses, difficiles à oublier,
Des mots-vérité assumés,
Nostalgie , bien sûr, partagée.
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Dans cette cour, devant la demeure paternelle, il n’y a plus de vigne vierge, il n’y a plus de pigeons ni de pigeonnier, il n’y a plus de géraniums, l’accès au bassin a été muré et le beau bougainvillier qui s’y adossait n’est pas encore en fleurs. Il n’y a plus que la douceur d’un après-midi de mai et deux anciens encore alertes qui essaient difficilement de trouver la voie vers le passé, cette histoire vieille de plus de soixante ans et le souvenir si fort des jeux et des joies de notre enfance commune. Les autres nous entourent et écoutent, essayent de comprendre ce qu’ils ne comprendront jamais, les soirs d’été à faire de la planche à roulette dans la cour poussiéreuse, les soirs d’hiver à jouer au couteau dans la terre moussue de décembre, les parties de foot des garçons, du côté de l’aire à battre – nous, les petites filles n’étions que spectatrices. Les grandes, immenses soirées d’été et la poussière urticante du blé en grain. Les parties d’osselets. Et notre innocence.
Un élan nous pousse l’un vers l’autre, nous avons la gorge serrée, nous nous donnons l’accolade. Nous savons que nous ne nous reverrons sans doute jamais. D’ailleurs, y tiendrions nous ? Nous ne sommes que le croisement de deux lignes de vie…
J'avais une ferme en Algérie...
Une phrase à la Karen Blixen, si transparente, si chargée de la mélancolie du temps jadis. Si désuètement coloniale, anglo-saxonne même, avec casques blancs, voiles et jupes longues, genre memsahibs sirotant leurs thés sous leurs vérandas, par exemple. Et quelques indigènes très gentils et de préférence humbles et serviables en fond de décor.
Mais voilà, outre que l'Algérie, ce n'était pas tout à fait ça, je n'ai jamais eu de ferme en Algérie. Cette ferme, (si tant est qu'on possède quelque chose en ce bas monde), a appartenu à mon arrière-grand-père qui l'a créée, à mon grand-père qui l'a embellie puis à mon père qui l'aimait et l'a perdue. Elle n'a jamais été à moi, je n'y suis même pas née, je suis née à Oran. Elle s'appelait Saint-Jean, j'y suis arrivée toute petite, si petite que cette terre m'a engloutie. Elle a façonné mon enfance.
Ce n’est plus du tout la même
Algérie et celle qui m’accueille est aussi très différente de
celle de mon enfance, de celle que j’ai connue lors de nos
deux voyages éclair et surtout de celle qu’on nous présente
en France. Est-ce l’effet du temps qui a passé, est-ce l’air
plus léger des provinces de l’ouest ? L’Algérie entre ciel et
terre, comme se plaît à le dire Daoud26 semble vouloir
retrouver cette vocation du bonheur si présente encore dans
les souvenirs des Pied-noirs. Certes, trop de corrompus ont
encore accès aux allées du pouvoir, certes, le nombre de
désœuvrés dans les rues est impressionnant, certes, les
imams ont tendance à prêcher une religion vétilleuse...
Les arbres peuvent mourir, les maisons tomber en ruine, mais la lumière, elle, ne change pas. Et nul, s'il ne l'a vécu, ne peut imaginer ce qu'est la lumière dorée d'un soir d'octobre dans la campagne d'Algérie, quand les ombres s'allongent et que l'herbe est déjà grasse. (P24)
Mais le plus horrible massacre s’est passé bien plus tard, un jour de septembre 1997, toujours au même endroit, dans cette même forêt de Guetarnia : onze institutrices ont été massacrées pour avoir persisté (que pouvaient-elles faire d’autre ?) à dispenser leur enseignement aux écolières d’Aïn-Adden. Le car qui les ramenait à Sfisef a été arrêté par un barrage d’islamistes forcenés : ils ont fait descendre les jeunes femmes et les ont égorgées froidement, méthodiquement, ainsi qu’un enseignant qui essayait de s’interposer. Douze morts, coupables de s’être obstinés à instruire des jeunes filles : tout le monde sait bien que c’est péché pour une fille d’apprendre à lire et à écrire. Ce jour-là, il pleuvait à flots, comme si le ciel lui-même avait pleuré ces jeunes mortes.