Ainsi, qu'elles pleurent ou qu'elles aient les joues sèches, qu'elles soient arrivées à pied, en voiture, en transport en commun ou à dos de mulet, elles avaient toutes une chose en commun : la honte. Et cette honte, Ada pouvait les en débarrasser. Il leur suffisait de demander. Il lui suffisait de prendre. Et Ada prenait ces enfants qu'on lui tendait chaque jour. Elle les prenait avec avidité, les serrant dans ses bras maigres, les palpant, vérifiant leurs nippes et ce qu'elle pouvait en tirer.
Le premier choc passé, Ada s'était longuement attardée sur les expressions de la jeune femme brune, l'observant avec avidité dès que cette dernière détournait ses yeux pâles des siens. Elle avait observé sa physionomie changeante, pouvant en un rien de temps passer de la plus grande douceur à une expression d'amertume et de rancune difficilement contenues. C'était un être de tensions, une âme inflammable qui s'était embrasée au contact d'une mère qui lui avait rappelé la sienne.
Alors, sans même y penser, comme à chaque fois qu'elle était soumise à ces pulsions qui lui faisaient perdre tout sens commun, Ada s'assit à même le plancher, l'enfant dans ses bras, ses jupes se disposant presque trop joliment autour d'elle. Vaste corole sombre sur le bois clair. La transformant en une fleur noire bâillonnant cette petite vie de ses pétales vénéneux.
- Aller va, ne t'inquiète pas ! Mais reste toujours sur tes gardes, on sait jamais ! Et dormons maintenant ! Demain sera aussi dur qu'aujourd'hui et certainement pas plus facile qu'hier en tous cas !
S'il lui avait été possible de parler, à ce moment précis comme plus tard, si elle s'était imaginée pouvoir être entendue, être comprise. [...] Elle aurait expliqué pourquoi. Elle aurait expliqué que sa mère, par sa froideur et son père, par son absence avaient comme glissé un éclat glacé dans son petit cœur chaud d'enfant, l'empêchant d'éprouver ces sentiments tendres qui adoucissaient parfois les plus durs. Elle aurait raconté qu'à cause d'eux, qu'à cause de sa vie, elle s'était toujours sentie éteinte.
L'amour était beau mais il n'était rien à côté d'un lit douillet et d'un ventre plein.
Est-ce que l'amour pouvait compenser la misère ? Est-ce que les baisers compensaient les assiettes vides ?