Dans une semaine, ce serait Noël. Mariah Ellison se demandait si elle devait embêter les domestiques en les priant de mettre des décorations dans ses appartements. À moins que quelqu’un ne lui rende visite par devoir, personne ne les verrait. Cette année, comme toute la famille était partie, elle se retrouverait de nouveau seule pendant les fêtes. Elle s’empressa de chasser l’idée que c’était en grande partie sa faute. Pour le dire gentiment, elle s’était montrée un brin difficile. Mais elle n’avait aucun doute sur le fait que, dans son dos, on devait formuler cela en termes moins amènes.
Mariah avait changé de comportement sur le tard. Elle se refusait à compter les années, et cela depuis un certain temps. À la vérité, elle avait cessé avant ses quatre-vingts ans – c’était bien assez vieux et, si elle avait eu un tantinet de bon sens, elle aurait arrêté dès soixante-dix ! De nombreuses femmes qu’elle connaissait l’avaient fait. Bien que septuagénaire, la reine Victoria, elle, ne pouvait pas vraiment rester discrète quant à son âge. Régner sur un empire qui embrassait un quart de la planète lui offrait très peu d’occasions de l’être dans quelque domaine que ce soit, ce pour quoi Mariah ne l’enviait pas.
Comme vous l'avez dit, l'amour ne meurt pas, pas plus que le courage ou l'espoir. Joyeux Noël, Harris !
En attendant que le thé arrive de la cuisine, Mariah s’installa dans un fauteuil confortable au salon. Il s’agissait plus d’un boudoir que d’un salon. Elle n’avait pas besoin de quelque chose de si formel. Néanmoins, il était décoré à son goût, essentiellement de meubles qu’elle-même avait apportés, à l’ancienne, peut-être un peu massifs. Elle les avait gardés pour l’unique raison qu’elle y était habituée, et que personne ne les lui avait donnés. Pour être tout à fait franche, elle en détestait certains, d’autant qu’ils lui rappelaient assez peu de bons souvenirs. Cependant, elle ne pouvait pas dépendre pour tout d’Emily ! Elle se tourna vers la fenêtre et admira la jolie vue sur les arbres dans leur parure d’hiver. Même en plein cœur de Londres, on trouvait des jardins étonnamment ravissants, surtout au printemps, et celui-ci en faisait partie. L’été, il était encore plus magnifique. Des roses grimpaient sur la pergola qui, à cette saison, se réduisait à un enchevêtrement de tiges nues. Et il y avait également des pivoines et des delphiniums aux couleurs flamboyantes.
Quelque chose chez Mariah adorait la beauté austère de cette saison [l'hiver]. Rien n'était vraiment mort, la terre se reposait, retirée en elle-même pour se préparer au printemps et à une nouvelle vie. Et tous les ans il en allait ainsi, indépendamment des hommes et des femmes qui vivaient là et la travaillaient, ou de ceux qui la souillaient. La terre possédait une vérité à elle qu'elle ne perdait jamais.
Il n'y avait dans la vie pas grand-chose de plus amer que la désillusion. A commencer par celle de perdre un trésor à cause de son propre égoïsme.
A tous ceux qui ont le courage d'essayer, encore et encore.