- C'est ridicule ! enchaîna-t-elle. Dieu du ciel, je ne vais quand même pas aller au Connemara ! Surtout au moment de Noël ! Ce serait la fin du monde... D'ailleurs, crois-moi, c'est bel et bien la fin du monde ! Il n'y a rien d'autre la-bas que des tourbières gelées !
- A vrai dire, je crois que la côté ouest de l'Irlande jouit d'un climat tempéré, la reprit Jack. Quoique humide, c'est certain, ajouta-t-il dans un sourire.
LA RÉVÉLATION DE NOËL.
C'est alors qu'un nouvel éclair déchira les ténèbres et lui fit découvrir un monde en proie au tourment. Des rares arbres du jardin qui s'agitaient dans tous les sens des branches brisées s'envolaient. Dans le ciel roulaient des nuages si bas qu'ils donnaient l'impression de vouloir raser le sol. Mais ce qui accrocha surtout son regard, ce fut l'océan. Dans la lueur blafarde, il bouillonnait d'écume blanche, se soulevant et s'abaissant comme s'il cherchait à sortir de ses gonds pour déferler sur la terre. On l'entendait hurler par-dessus le vent.
D'un seul coup l'obscurité retomba. Emily ne distinguait même plus la vitre qui se trouvait à quelques centimètres de son visage. Elle grelottait de froid. Il n'y avait rien à faire, aucun moyen d'agir, pourtant elle resta figée là, comme clouée au plancher.
Lorsque survint l'éclair suivant, presque même temps que le tonnerre, des pans de lumière pâle fendirent le ciel, suivis de fourches pareilles à des poignards qui plongèrent dans la mer. Et là, parfaitement visible au milieu de la baie, un bateau qui venait du nord luttait, essayant de contourner la pointe pour rejoindre Galway. Il n'y parviendrait pas. Emily en était aussi certaine que si la chose avait déjà eu lieu. La mer allait l'engloutir.
Lorsque survint l’éclair suivant, presque en même temps que le tonnerre, des pans de lumière pâle fendirent le ciel, suivis de fourches pareilles à des poignards qui plongèrent dans la mer. Et là, parfaitement visible au milieu de la baie, un bateau qui venait du nord luttait, essayant de contourner la pointe pour rejoindre Galway.
LA PROMESSE DE NOËL.
C'était donc cela l'Île d'Anglesey… Du haut du promontoire aux rochers déchiquetés, Runcorn contemplait les montagnes de Snowdonia et le pays de Galles que l'on apercevait au-delà du détroit de Menai en se demandant pour quelle obscure raison il avait choisi de venir ici tout seul en décembre. L'air glacial était cinglant et chargé de sel. En tant que Londonien, Runcorn était habitué aux fracas des voitures à cheval sur les pavés et aux lueurs des réverbères à gaz qui scintillaient dans le crépuscule. Chaque jour, l'enveloppaient les voix chantantes des marchandes des quatre-saisons, les cris des vendeurs de journaux, des conducteurs de coupés, de fiacres ou de fardiers, ainsi que les odeurs de crottin et de fumée.
(…)
Le lendemain, Runcorn parcourut le rivage depuis le nord de Beaumaris jusqu'à l'est de de Penmon Point, d'où il admira le phare et Puffin Island que l'on distinguait au loin. Le jour suivant, il partit dans l'autre sens, dépassa le pont de Menai jusqu'à ce qu'il aperçoive les hautes tours du château de Caernafon sur l'autre rive, surplombées par les gigantesques sommets enneigés de Snowdonia. Et le jour d'après il se promena sans but dans les collines au-dessus de Beaumaris jusqu'à l'épuisement.
“UN NOËL PLEIN D'ESPOIR”.
Au carrefour, le vent soufflait plus fort. Il s'engouffrait dans la rue, gémissant sous les avant-toits des plus hauts immeubles en brique abîmés par le passage des ans, les intempéries et la négligence. L'eau qui s'échappait des gouttières pleines de trous formait de longues traînées noirâtres et moisies dégageant une odeur de chaussettes sales.
Les semelles de ses bottines glissaient sur les plaques de glace, et elle avait si froid aux pieds qu'elle ne sentait plus ses orteils.
La rue suivante grouillait de monde. Des hommes s'en allaient travailler à la scierie ou chez le charbonnier, des femmes à la fabrique d'allumettes. En dépassant l'une d'elles, Gracie remarqua son visage défiguré, la mâchoire rongée à force d'être exposée aux vapeurs de phosphore. Une vieille femme marchait tant bien que mal, ployant sous un ballot de linge. Deux filles se moquèrent de son allure en éclatant de rire. Plus loin un camelot vendait des sandwiches empilés dans un panier, un homme drapé dans un volumineux manteau gisant, avachi à ses pieds.
Un brasseur passa sur son fardier, les chevaux levant fièrement leurs sabots qui résonnaient sur les pavés, leur harnais rutilant malgré la pâle lumière hivernale. Rien n'était plus beau q'un cheval, ni aussi puissant et gentil, avec ses pieds énormes qu'entouraient des poils pareils à des robes de soie.
Un marchand des quatre-saisons vêtu d'un manteau à boutons de nacre arriva quelques mètre derrière en poussant une carriole chargée de légumes. Il sifflotait un air que Gracie reconnut : un chant de Noël, dont les paroles évoquaient de joyeux messieurs.
L'ODYSSÉE DE NOËL.
Toute la nuit et jusqu'à ce que se lève l'aube glaciale, ils passèrent de taverne en asile et en lieu de débauche. Ils secouèrent de pauvres hères pour les réveiller et leur demander s'ils avaient vu Lucien ou Sadie. Ils proférèrent des menaces et firent des promesses. Squeaky mentit avec beaucoup d'originalité. Henry tenta même de soudoyer plusieurs malheureux - à l'aide de quelques pièces ou d'un sandwich au jambon acheté à un vendeur à la sauvette -, mais personne ne reconnut savoir quoi que ce soit concernant le meurtre. Même proposer un café bien chaud à une échoppe n'aboutit à rien d'intéressant.
Ils s'adressèrent à des clochards tapis sous des porches, couverts de vieilles hardes ou de vieux journaux et de cartons d'emballage, parfois trop saouls pour se rendre compte qu'ils pouvaient mourir de froid. Les questions sur Lucien et Sadie ne suscitèrent que des regards absents. Et il en alla de même la plupart du temps lorsqu'ils mentionnèrent le nom de Shadwell. Seules deux ou trois personnes réagirent par un total déni en se mettant à trembler plus fort que ne le justifiait le froid du petit matin.