La neige de saint Pierre

Il existe - ou existait - une maladie des céréales qui a été souvent décrite au cours des siècles passés. Partout où elle apparaissait, elle portait un nom différent. En Espagne, elle s'appelait "lichen de Madeleine", en Alsace, "rosée des pêcheurs". Le "Livre du médecin", d'Adam de Crémone, la nommait "blé de la Miséricorde" ; dans les Alpes, on la connaissait sous le nom de "neige de saint Pierre". Dans la région de Saint-Gall, on l'appelait "le moine mendiant" et dans le nord de la Bohème, "la moisissure de saint Jean". Chez nous en Westphalie, où elle se manifestait très souvent, les paysans l'appelaient "feu de la Sainte Vierge".

Je n'arrive pas à trouver d'autre explication : la tension qui m'abandonna soudain, un sentiment de surprise et de bonheur qui m'emplit brusquement, l'émotion que je ne pouvais pas montrer et qui pourtant était si forte que je ne parvenais pas à la réprimer, tout cela dut provoquer un curieux dédoublement de la personnalité : j'entendais la voix du baron, je percevais la moindre de ses paroles, mais en même temps, j'avais l'impression de ne plus être là, d'être couché dans un lit, dans une chambre d'hôpital quelconque; c'était une sensation très concrète, je sentais quelque chose d'humide et de chaud sur le front et dans la nuque, et j'essayais de m'en saisir, mais soudain, je ne parvins plus à bouger le bras et j'entendis les pas feutrés de l'infirmière. (...)

Il n'y a que dans les rêves ou quand on va très bien qu'on oublie le temps.

Vous y avez réfléchi toute la nuit ! s'exclama le russe, que ces propos indignaient. Mais il vous est interdit de réfléchir, vous vous accordez ainsi un avantage auquel vous n'avez pas droit. Voyez-vous cela ! Le renard fait semblant de dormir, mais en réalité, il compte les poules ! Voilà qui n'est pas très fair-play, Federico. Entre gentlemen, il n'est pas d'usage de réfléchir et d'imaginer des trucs.

Il sembla avoir deviné ce que je voulais lui dire. L'anxiété et la tension disparurent sur-le-champ de son visage et firent place à la haine, une haine que je n'avais encore jamais vue sur un visage humain et qui me remplit d'effroi. Sous l'emprise de ce regard, je cédai à la lâcheté et je rectifiai:
"Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de maintenir l'isolement de la petite Elsie. Je ne suis plus opposéà ce que vous lui rendiez visite."
Il me regarda avec méfiance tout d'abord, puis il eut l'air surpris, perplexe, et finalement, son visage rayonna de joie.