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Critique de Fabinou7


Question existentielle du jour : peut-on être banquier et anarchiste ?

Le plus grand poète lusophone du XXème siècle nous lègue une courte nouvelle au titre polémique. Maïeutique socratique ou humour sophiste ? Ce tour de force d'éloquence, le plaidoyer d'un banquier libertaire à la logique implacable, à l'aplomb inébranlable serait-il un formidable brûlot contre la mauvaise foi, comme le prétend la Préface ?

***

“Qu'est-ce qu'un anarchiste ? C'est un homme révolté contre l'injustice qui rend les hommes, dès la naissance, inégaux socialement - au fond c'est ça tout simplement.”

A priori pas vraiment votre conseiller clientèle à la caisse d'épargne et pourtant…N'a-t-on pas récemment connu un ancien associé gérant de banque d'affaires (entre temps devenu premier serviteur de l'Etat) sortir un livre-manifeste « Révolution » ?

Tous les systèmes sont des fictions sociales, pour faire triompher la liberté il faut abolir les fictions : “Et quelle est la fiction la plus naturelle ? (...) celle à laquelle nous serons déjà habitués.”

Une fiction est comme une cigarette, fumer n'a rien de naturel et pourtant ça peut être ressenti comme un besoin par le fumeur. Pareil avec l'argent et le système bourgeois.

Mais remplacer le capitalisme bourgeois et conservateur par le communisme n'est pas la solution, l'immense auteur portugais, dans sa seule oeuvre publiée de son vivant, en 1922, se montre déjà lucide sur la révolution d'octobre en faisant dire à son personnage qu'elle va retarder de plusieurs décennies l'avènement d'une société libre.

Je trouve intéressant ce que Jérôme Bonnemaison, sur son blog littéraire (mesmillesetunesnuits), retient de la démonstration rhétorique du banquier : la formidable capacité du capitalisme à se réinventer, à s'adapter, à absorber la contestation, en l'occurrence libertaire, Pessoa visionnaire décrivant le même mécanisme qui présidera à la récupération mercantile et publicitaire des mouvement libertaires de mai 68 ou de la mouvance punk.

Tant que la démocratie n'arrivera pas à produire les anticorps suffisants, toutes les tentatives seront-elles vaines car récupérées par les dominants ?

***

Toujours est-il que l'interlocuteur du banquier (sans doute sous xanax) n'est pas d'un répondant très percutant… Ce livre n'est-il qu'un exercice d'auto-défense rhétorique ? Pessoa ne nous invitant qu'à démasquer les sophismes du banquier ?

Pas si sûr…Au-delà de l'ironie subversive, les propos du banquier semblent pouvoir être pris au premier degré dans une certaine mesure. L'anarchisme, traditionnellement compris comme un mouvement de gauche, est en réalité « transpartisan », notre banquier ne serait il pas anarchiste mais « de droite » (l'égalité en moins), poussant l'individualisme jusqu'à son ultime limite ?

“Nous devons tous travailler dans le même but, certes...mais séparément”. Pessoa appuie là où ça fait mal, l'anarchisme organisé reproduisant les structures qu'il est censé combattre “certains tendaient insensiblement à devenir des chefs, et les autres des subordonnés”.

Le banquier fustige également « la tyrannie de l'entraide », c'est la grande théorie de l'anarchisme, portée par Kropotkine, selon laquelle ce n'est pas la compétition darwinienne mais l'entraide qui joue le plus grand rôle dans l'évolution des espèces, sorte de jus naturales économique, pour notre banquier au contraire avec l'entraide on méprise l'autre et on le juge « incapable d'être libre ».

***

“J'ai libéré un homme : moi”. le banquier anarchiste nous dit deux choses qui résonnent étrangement un siècle après.

La première est que l'argent rend libre. N'était ce pas ce que défendait Virginia Woolf a la même époque, dans « Une chambre à soi », reléguant les droits politiques, comme le droit de vote, derrière l'indépendance financière des femmes (sous-entendu faut pas se tromper de combat), véritable clé de la liberté et source d'émancipation vis-à-vis des hommes ?

La seconde, qui découle de la première est que ceux qui ont l'argent ont le pouvoir. En effet, ils sont libres, aucun pouvoir ne s'exerce sur eux, du fait de leur argent et, en retour, ils peuvent imposer aux décideurs politiques et aux autres individus, citoyens, leurs volontés par l'argent. Après tout, le banquier n'est-il pas « sans dieux, ni maitres » ?

Certes, on rit avec « le banquier anarchiste », mais on rit jaune.

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