Les choses passent mais laissent toujours des traces. Elles s'imprègnent. Parfois c'est énorme, voyant, odorant. Mais c'est souvent imperceptible. Les marques et les morsures d'une vie trouvent toujours des cachettes dans le corps et dans le cœur. Elles se planquent sous des couvertures, s'enferment à clé dans les tiroirs, s'entassent sous les os. Et les images les plus crasses sont souvent réduites en miettes pour se perdre dans les méandres du cerveau.
Cette nuit, il n'y a pas de hasard. Et tout se joue maintenant. Oui, ce noir est étrange, cette parenthèse artificielle, sa présence ici fantasmagorique. Tess est comme un personnage de conte errant dans un décor de papier habité d'étranges personnages distillant peu de mots. Ici tout est symbole.
Les marques et les morsures d'une vie trouvent toujours des cachettes dans le corps et dans le cœur.
l'absence de preuve n'est pas preuve de l'absence.
De sa bouche sortent des cris, des épines, des notes, des pleurs, des vomissements, des fleurs et des araignées.
C’est lui qui la prenait dans ses bras quand elle cherchait un corps pour définir les limites du sien et combler les grands vides qui creusaient ses entrailles. Elle sentait bien que Martin n’était pas à la hauteur. Qu’il n’était pas assez grand, pas assez fort, pas assez sûr pour tout remplir. Mais c’était déjà ça.
Elle est émerveillée. Qu'un homme comme Marc ait pu s'intéresser à elle, c'était inespéré. Elle, la discrète qu'on ne remarquait pas, qui servait d'amie ou d'alibi pour arranger les copines, dont les professeurs oubliaient souvent le prénom, que les garçons voulaient approcher seulement pour vérifier la couleur de son pubis de rousse, que ses parents fuyaient lorsqu'elle prenait trop de place. Elle est émerveillée que cet homme de dix ans son aîné puisse l'aimer. Elle est sa poupée et il s'occupe d'elle, l'habille, la nourrit, la guide. Elle voulait travailler, pour elle aussi ramener de l'argent, mais il lui a dit que ce n'était pas la peine, qu'il préférait la savoir à la maison, qu'elle n'avait pas à s'inquiéter, qu'il gagnait bien sa vie et qu'il s'occuperait de tout. Il s'occupe de tout. Emma sourit.
Un peu de folie? Oui, pourquoi pas. Tout saupoudrer de folie pour que cessent les interrogations et que l'errance soit supportable. Faire un pas après l'autre.
Les volets sont clos et il ne sait plus si c'est la nuit ou le jour qui habille le dehors.
- "C'est mort", je déteste cette expression, souffle Field. Primo, elle est moche, oui, c'est une expression moche ! Secundo, il y a toujours de l'espoir. Je ne supporte pas les phrases lapidaires de ce genre.