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Critique de gruz


gruz
29 février 2024
Benoît Philippon semble s'atteler à raconter l'ensemble de la grande famille de l'Humanité, toutes générations confondues. Mais ce serait lui faire injure que de penser que ce Papi Mariole n'est qu'un recopiage de sa Mamie Luger.

Aucune tromperie sur la marchandise avec la couverture, ce papi ressemble bien à Jean Rochefort. Hommage appuyé qui ne parlera peut-être pas à la jeune génération, mais clairement aux autres, et qui dénote une fois de plus l'amour de l'écrivain pour l'image, avec son autre casquette (réalisateur et scénariste). Ce roman est à nouveau très visuel, combinaison réussie entre bons mots en cascade et cascades d'images fortes.

Si ce papi fait le Mariole, c'est à l'insu de son plein gré. C'est son surnom, mais ce n'est pas lui qui vous dira d'où il vient. le gus végète dans un mouroir, perdu dans un EHPAD et dans sa mémoire défaillante. Pas loin d'être octogénaire, Alzheimer a déjà très largement émietté son cerveau. Se souvenir des moments du quotidien lui est presque impossible. Juste cette rémanence sur son métier et sur une dernière mission non remplie. Oui, il était tueur à gages dans son illustre mais secret passé, du moins c'est ce qu'il lui semble.

Fondu au noir. Place au second personnage principal. Changement de génération avec Mathilde, une jeune femme qui n'a jamais eu confiance en elle et dont on a abusé, dans tous les sens du terme. Non pas victime de la dégénérescence de son corps mais de celle de notre société, où les femmes sont toujours traitées comme de la viande par certains hommes. Son malheur va se matérialiser à la vue de tous par un revenge porn, une vidéo qui n'aurait jamais dû sortir du cadre privé et qui se retrouve à la vue de tous, ses proches en premier. C'est la dégringolade jusqu'à presque le point de non-retour.

Les deux s'échappent, lui physiquement, elle dans sa tête.

Le hasard ou le destin vont les faire se rencontrer dans le climax de la première partie du livre. Leur futur en sera irrémédiablement changé, leur fortune modifiée.

Le roman débute par la présentation des protagonistes (avec en guest star un cochon), sur un ton doux-amer. Il faut dire que les deux sujets traités ne prêtent pas vraiment à rire, de prime abord. Ce sont bien deux histoires de déchéance et d'indignité qui viennent s'entrechoquer, qui vont se conjuguer. L'union fait la force pour deux êtres qui pensaient en être vidés.

Comme dans tous les romans de l'auteur, il s'agit avant tout d'une histoire de rencontre(s). Rendez-vous de passage ou plus marquants, qui vont aiguiller le chemin ou changer la vie. Les deux vont faire la paire sans vraiment s'en rendre compte au départ. La sénescence de l'un, la honte de l'autre. Pour redonner un sens à la vie. Et deux missions.

On ne pourrait imaginer plus dissociable que ce duo, et pourtant ils vont se révéler complémentaires et s'aider mutuellement à retrouver du sens. Même s'il faut pour ça changer les règles du jeu. La fin de vie devient aventure. Et combat.

Benoît Philippon ne s'en est jamais caché, ses romans sont engagés, derrière l'humour omniprésent. Comme souvent, pour défendre les femmes. C'est plus que jamais le cas avec ce récit féministe.

Il a des messages à faire passer, mais une méthode qui lui est propre. A coups de mots d'esprit et de passages visuellement marquants. Certaines scènes sont particulièrement piquantes, jouissives (le mot n'a jamais été aussi juste), décrites pour qu'elles marquent le lecteur, qu'il les ressente autant qu'il les voie. Je peux vous assurer que vous n'êtes pas prêts de les oublier !

La vengeance. le thème qui, depuis la nuit des temps, inspire les histoires. Encore faut-il qu'elle ait du sens et qu'elle soit menée avec inspiration. C'est le cas ici, où papi vole au secours d'une femme dont il ne cesse pourtant d'oublier le nom, et de Mathilde qui devient la canne du vieillard.

La fin justifie les moyens. Comme l'auteur le dit lui-même « On peut questionner la méthode mais ne plus dire qu'on ne savait pas ».

Et pour se réhabiliter à eux-mêmes, lutter contre l'abaissement, ils vont aller très loin. Ça tombe bien, Mariole est lourdement armé et Mathilde fortement déterminée.

Ce n'est pas qu'un divertissement, c'est aussi un texte qui bouscule. Les changements de ton servent des temps ludiques mais aussi dérangeants. Pas mon roman préféré de l'auteur, mais encore une touchante réussite.

Avec l'écrivain égal à lui-même, par son talent autant que par sa volonté de parler des gens cabossés, en phase de reconstruction sur des fondations délabrées. Avec l'espoir d'un monde qui change.

Benoît Philippon n'a pas son pareil pour dessiner des personnages mémorables et faire suinter les émotions de leurs failles. La rencontre de Papi Mariole et de Mathilde fait jubiler le lecteur autant qu'il le secoue.
Lien : https://gruznamur.com/2024/0..
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