Citations sur La faute (40)
Si seulement j'avais pu les aider ! Mais où trouver tout cet argent ? Je le jure, je ne cessais pas de me creuser la cervelle. Un jour, je me suis convaincu que la solution était là, dans la première image d'un album d'oncle Picsou. Elle représentait l'avide millionnaire à plumes sur le tremplin d'une piscine scintillante de doublons. (..)
Comment accumuler autant d'or pour en remplir une piscine ? A quelle distance de chez nous se trouvait le Klondike ? Et comment y parvenir alors qu'il m'était interdit de dépasser l'épicerie du coin ?
Mentir m'avait troublé plus que prévu. C'était comme si un nouveau moi avait étouffé le petit garçon loyal et consciencieux de toujours. Un moi social, pour ainsi dire, doté de l'habileté suffisante pour deviner que dans le monde la sincérité, l'honnêteté intellectuelle et l'auto-ironie sont des qualités beaucoup moins utiles que le charme, la simulation et la possession de certains objets coûteux.
Je regardais les femmes avec le flegme désespéré et non dépourvu de romantisme avec lequel un astronome dilettante contemple par une belle nuit d'été les myriades de corps célestes qui parsèment la voute du ciel : l'étonnement, la curiosité déchirante qu'elles m'inspiraient étaient gâchés par le soupçon qu'à moins d'une révolution technologique improbable je n'établirais absolument jamais de contact avec elles.
Comme faire de l'épate ne coûte pas cher, le risque est d'y prendre goût. Le mensonge devient alors un habitat qui n'est que trop confortable, et vous vous retrouvez l'otage de vos balivernes comme il arrive à trop de journalistes malhonnêtes et aux rares excellents romanciers encore en circulation. Alors oui vous pouvez vous exposer à des accidents fâcheux.
Si j'étais frappé par la tendance des riches à la colère, ce qui me surprenait le plus chez les représentants de la soi-disant élite intellectuelle c'était la complicité intéressée qui semblait les lier en dépit des fonctions occupées. Comme si les oppositions qu'ils présentaient - aussi dures qu'elles puissent paraître au commun des mortels - étaient une mise en scène à l'usage du public. Comme si l'esprit de caste était plus fort non seulement que l'antipathie personnelle mais que n'importe quelle incompatibilité politique.
Seul quelqu'un qui est né dans une zone sismique ou sur les flancs d'un volcan en activité peut se faire une idée relativement juste de ce que signifie venir au monde dans une famille endettée jusqu'au cou. Même si vous n'y pensez pas toute la journée, vous développez de formidables capacités de perceptions, exaltées par une imagination catastrophiste. Le niveau d'alerte est tel qu'il en perd tout caractère extraordinaire. Coups de téléphone, sonneries d'interphone, distributions de courrier, il n'est pas de communication venue de l'extérieur qui ne promette des difficultés inextricables. Vous apprenez à ne rien considérer comme allant de soi, pas même l'électricité ou l'eau courante...
Voilà ce que j'étais : une expérience ratée, grâce au ciel non reproductible ; en d'autres termes le fruit avarié de ce genre d'interactions génétiques qu'une société saine devrait interdire.
Séduit par la folle propagande dionysiaque typique de ces années-là - la vulgate selon laquelle toute forme d'expression, de préférence frivole et velléitaire, est digne de considération - il s'était lancé tête baissée dans la recherche de lui-même. Acteur, scénariste, guitariste, auteur de chansons, poète, il n'y avait pas d'activité non rétribuée qu'il n'ait entreprise avec enthousiasme.
C'est toujours étonnant de constater comment des mots lancés par quelqu'un, comme ça, presque par erreur, pour le plaisir d'ouvrir la bouche, peuvent heurter par inadvertance la susceptibilité d'un interlocuteur.
Voilà ce que j'avais obtenu en violant les principes de base de l'imposture, les consignes auxquelles je m'étais si scrupuleusement tenu pendant toutes ces années : ne jamais m'exposer, ne jamais fournir d'éléments précis, ne jamais donner aux autres l'occasion de me mettre en contradiction avec moi-même.