Citations sur Le laboratoire central : Entretiens, 1970-2012 (13)
[La qualité première d’un analyste est] la capacité de penser contre soi-même, en ce cessant de se confronter à la pensée des autres qu’on tient d’abord pour aberrante parce qu’elle n’est pas sienne.
le vrai style ne se décide pas, c'est l'inconscient de l'écrit
Aux origines, il y a en effet comme un rapport d'emboîtement réciproque entre psychanalyse et littérature. Souviens-toi : les histoires de cas des Études sur l'hystérie dont Freud s'inquiète qu'elles se "lisent comme des romans", le Projet de psychologie scientifique jeté sur le papier comme un poème dans la fièvre créatrice, un peu folle, que l'on sait, l'"analyse" avec Fliess sous forme de lettres échangées, les récits de rêves de la Traumdeutung avec ce qu'ils supposent de mise en écriture, Oedipe tragédie avant d'être complexe, Hamlet, la Gravida, l'identification à Goethe - Poésie et vérité -, à Moïse - les Tables de la Loi ... La recension serait infinie.
Faut-il tenter d'objectiver notre savoir ou considérer que la soumission aux méthodes de la science ne peut qu'entraîner une déformation (le mot est faible) de l'essence même de la psychanalyse, je n'hésite pas quant à la réponse : il m'importe peu que la psychanalyse ne soit pas admise dans le cercle des sciences « dures» ou « molles», ni même qu'elle soit dénoncée ici et là comme une « fausse science », pourvu qu'elle reste inventive et jeune, telle Gradiva rediviva, au pas vif et décidé !
[Sur les états limites] Contraints de nous inventer, quand nous ne pouvons plus utiliser les codes qui nous servent généralement d'appui, mais aussi nous enserrent,
car nous nous semes le plus souvent, à notre insu, sujettis. La difficulté, dans ces cas-là, dans ces temps-là, a des chances d'être féconde comme si 'était l'analyste qui se trouvait alors engagé, au risque de s'y perdre corps et biens, dans des zones que sa propre analyse avait tenues à l'écart.
Curieusement, il me semble que les névroses dites classiques qui offrent, croit-on, un terrain privilégié à l'exercice de la méthode analytique sont autrement plus difficiles car la difficulté rencontrée là ne provoque pas notre pensée à rompre les amarres. Nous savons par exemple beaucoup de choses sur la névrose obsessionnelle, nous ne sommes pas désarmés, nous ne sommes pas « démolis ». Et pourtant comme nous pouvons nous sentir impuissants, inefficaces face à un obsessionnel bien corseté! On dirait que notre savoir fait office de résistance, on dirait que l'intelligibilité de la névrose entrave en nous la capacité d'invention.
[Sur les états limites] Contraints de nous inventer, quand nous ne pouvons plus utiliser les codes qui nous servent généralement d'appui, mais aussi nous enserrent,
car nous nous semes le plus souvent, à notre insu, sujettis. La difficulté, dans ces cas-là, dans ces temps-là, a des chances d'être féconde comme si 'était l'analyste qui se trouvait alors engagé, au risque de s'y perdre corps et biens, dans des zones que sa propre analyse avait tenues à l'écart.
Curieusement, il me semble que les névroses dites classiques qui offrent, croit-on, un terrain privilégié à l'exercice de la méthode analytique sont autrement plus difficiles car la difficulté rencontrée là ne provoque pas notre pensée à rompre les amarres. Nous savons par exemple beaucoup de choses sur la névrose obsessionnelle, nous ne sommes pas désarmés, nous ne sommes pas « démolis ». Et pourtant comme nous pouvons nous sentir impuissants, inefficaces face à un obsessionnel bien corseté! On dirait que notre savoir fait office de résistance, on dirait que l'intelligibilité de la névrose entrave en nous la capacité d'invention.
Jai le sentiment que ces remarques préliminaires me mettent mieux en mesure de répondre à l'enquête.
Mais l'essentiel de l'analyse, le piège qu'elle instaure
- par son dispositif, par la règle fondamentale, la mise en suspens de la réalité extérieure à son champ - tient dans l'expérience du transfert qui, quoi que nous ayons pu dire et écrire les uns et les autres, demeure et doit demeurer dans son étrangeté radicale, à l'abri - tant dans la cure que dans la théorie - d'une élucidation trop insistante. Le transfert n'est pas une formation de l'inconscient comme les autres. Il n'est pas une énigme, pas une devinette comme celle que pose le Sphinx, qui appelle une solution.
Le deviner ne le résout pas pour autant. Et puis, pro-duction, il est aussi producteur. Comment articuler cela : que le transfert soit à la fois répétition agie et, selon le mot de Marion Milner, illusion créatrice ?
Condition d'une analyse effective : que le passé, que les passés et leurs traces dispersées s'incarnent et s'actualisent dans le présent jusqu'à faire masse. C'est là la condition nécessaire pour que le passé et le présent s'étant, par l'épreuve du transfert, confondus, puissent se disjoindre comme on dénoue une pelote de laine aux fils entre-mêlés, comme on pèle feuille à feuille un oignon. Les comparaisons sont triviales, mais l'analyse est triviale, elle n'a rien de sublime (c'est à ce prix, justement, qu'elle
Peut favoriser les sublimations).
Ignorerions-nous que roman et vérité ne sont pas antinomiques ? Ignorerions-nous que science et fausseté - l’histoire des sciences l’atteste - cont de pair ? Mais l’histoire des sciences n’intéressent que les philosophes et les scientifiques n’ont rien à faire d’une histoire qui les rendrait pourtant moins arrogants - je pense aux neurosciences.
Mais quand l'analyste se refuse cette facilité [le décodage], quand il ne fait pas de l'interprétation une traduction simultanée, quand il ne se tient pas pour dépositaire d'un trousseau de clés qui ouvriraient toutes les portes - selon moi, les ferment -, que se passe-t-il? L'analyste est alors amené non seulement à laisser venir et à entendre le contenu latent des dires et des silences de son patient, mais à être réceptif à ses propres contenus latents, à ce qu'induit en lui l'analysé.
L'analyste vient représenter successivement tous les autres qui dans votre vie ont eu pouvoir sur vous et ont été supposés en savoir plus long que vous sur vous-même. Tout l'art de l'analyste est de ne pas incarner ces personnages ou, du moins, pas de façon stable, de laisser se déployer les transferts de façon à permettre au patient de se dégager en fin de parcours de l'assujettissement par lequel il lui a fallu passer.