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Critique de agudolle


Tout d'abord merci à Babelio pour cette masse critique et aux éditions Karthala.
La collection « Sens et conscience » chez Karthala propose à travers différents ouvrages, des réflexions sur ce qu'est être chrétien dans la modernité, et comment aujourd'hui parler de Dieu.
A travers différents auteurs et autrices, des axes différents sont proposés pour le chrétien d'aujourd'hui. Les titres parfois provocateurs interpellent et donnent envie d'en savoir plus : « Pour un christianisme sans religion : retrouver la voie de Jésus de Nazareth » de Bruno Mori par exemple. Je cite cet ouvrage car je l'ai lu et l'ai apprécié. Pas de tabou, on est là dans une approche très libre et parfois subversive par rapport au magistère, à l'Eglise institutionnelle. Que l'on soit croyant, mal croyant ou pas croyant, je conseille vraiment d'être curieux et de découvrir cette collection riche, et diversifiée dans ses approches.
Au fond cette collection pose la question : comment croire dans la postmodernité ? Qu'est-ce qu'être croyant aujourd'hui ? Pourquoi ? Ce sont là des questions intarissables.
Odile Ponton s'inscrit donc dans cette filiation de chrétiennes libres et critiques, qui pensent et donnent à penser sur les questions de Dieu, de la foi, des dogmes, de l'Eglise et de la religion. Ici, elle s'intéresse plus particulièrement à l'exégèse biblique, car elle a animé des groupes bibliques pendant des années. Et cette expérience n'aura pas été anodine, car ce fut pour elle le début d'une nouvelle ère quant à l'approche de sa foi.
Et c'est donc à travers son itinéraire spirituel que l'on découvre son cheminement et son parcours.
Se dessine alors tout un pan de notre histoire et ses mutations contemporaines. Cette dimension historique en filigrane n'est pas dénuée d'intérêt. Car à travers ce témoignage chrétien, c'est aussi le témoignage d'une génération, celle d'Odile Ponton, qui est passée d'un monde à l'autre. Une génération concile Vatican II ; celle-ci verra d'autant plus les métamorphoses d'une société où le religieux s'éclipse peu à peu. La baisse inexorable du nombre de fidèles en est l'une des manifestations. le propos n'est pas de faire le procès du concile, car les plaques tectoniques bougeaient déjà depuis longtemps. Un phénomène présent depuis plusieurs siècles et qui se cristallise au 19ème et 20ème siècle.
Ici, point de lamentations sur ce constat mais une tentative justement de s'adresser à ceux qui sont éloignés de l'Eglise, aux indécis et à ceux qui doutent ; ainsi qu'aux pratiquants qui s'interrogent et s'intéressent à un approfondissement des grandes questions autour de Dieu, de la bible et de la foi.
A travers son itinéraire, nous pouvons chacun nous identifier à elle. Car finalement son parcours peut être le nôtre : une éducation suivie d'une crise profonde qui survient. S'ensuit une remise en question radicale. Puis un nouveau chemin se dessine : une seconde naissance ; celle dont parlent les évangiles.
Odile Ponton vit une enfance empreinte de religiosité : catéchisme, messes, fêtes religieuses rythment la vie quotidienne. Adulte, elle devient professeure de lettres dans l'enseignement public et s'engage dans le syndicalisme. On lui propose ensuite de diriger un groupe biblique ; une rencontre de personnes qui réfléchissent autour des textes. Elle animera pendant des années ce groupe, se formera en théologie.
Au cours de sa pratique elle va être amenée à remettre en question de manière radicale l'interprétation littérale qu'elle faisait des textes bibliques ainsi que les dogmes de l'Eglise catholique. Ce qu'elle prenait pour évident devient opaque, discutable, sujet à débat et aux controverses. Il s'ensuit alors de profondes méditations et interrogations sur les contenus de la foi catholique ainsi que de l'interprétation de certains dogmes et des textes bibliques. La vie de Jésus est relue et réinterprétée à l'aune de ses découvertes.
De sa jeunesse où l'on ne s'interrogeait guère sur les affirmations de la foi, elle va, grâce à la découverte de l'exégèse biblique et de sa dimension historico-critique (avec l'apport des sciences humaines et sociales) découvrir d'autres dimensions. Dans une réflexion qui n'est plus arrêtée, mais ouverte et vivante. C'est une nouvelle découverte qui fait basculer Odile Ponton dans une interrogation parfois dérangeante car elle décape au plus profond d'elle ce qu'elle croyait depuis toujours. Elle découvre le doute et que la foi n'est pas un baume pour se réconforter, mais un véritable chemin avec ses hauts et ses bas, un chemin de croix plus qu'une promenade. La foi de son enfance est bousculée à jamais, la magie et le merveilleux s'effondrent peu à peu. Les miracles du Christ sont remis en question et on passe alors d'une dimension où le merveilleux et l'extraordinaire dominaient, à une vision épurée et déconstruite jusqu'à la moelle.
Et c'est là que le bât blesse. Car s'il est tout à fait possible de s'interroger sur tout et sans tabou, lorsque l'on pousse tellement loin le curseur et que l'on s'embarque dans un rationalisme religieux froid et sans âme, le mystère s'éclipse…
Odile Ponton ne souhaite pas cela, dans la suite de l'ouvrage, elle est claire là-dessus. Mais j'ai ressenti parfois ce risque qui est celui de tout jeter, peut-être même sans le vouloir ! La démarche de déconstruction et d'esprit hypercritique poussée jusqu'au bout du bout engendre inexorablement cette sensation de vouloir jeter tout par-dessus bord. Sans merveilleux et sans mystère que reste t-il alors ? Plus rien, justement, sauf un immanentisme où nous nous noyons. Sans transcendance, et où le mystère avec un grand M disparait.
Comment alors nourrir une foi sans mystère et sans transcendance ? N'est-ce pas une impasse, une voie sans issue ? Un mystère que l'on explique complètement n'est plus un mystère….Le mystère est inépuisable et le risque avec ce rationalisme exacerbé est de le tuer. Il ne s'agit pas tant de dire adieu à la raison comme le souhaitait par exemple le philosophe excentrique Paul Feyerabend, que de réhabiliter celle-ci à sa juste place. Sans ignorer les mystères et les miracles. Là est toute la difficulté de ne pas aller trop dans un sens comme dans l'autre, mais dans un équilibre fécond pour vivre une foi riche mais sans concession, avec un esprit critique aiguisé.
Le rationalisme froid extrême est aussi dangereux que l'irrationalisme complet et sa folie totale. Conjuguer le Mystère avec une approche intelligente et critique de la foi me parait être une voie intéressante pour notre temps. Les mystiques sont parfois de grands intellectuels ; l'un n'empêche pas l'autre. Ce souhait de réenchantement de la part de nos contemporains et qui se traduit par l'explosion des livres de développement personnel dans les librairies et ce regain pour l'ésotérisme, n'est sans doute pas sans raisons. Que cela nous plaise ou non, c'est un fait difficilement récusable ; refouler le merveilleux et il revient au galop…
Rien d'évident sur ces sujets, juste des pistes de réflexion et c'est bien ce que souhaite l'autrice : nous mettre en chemin, réfléchir avec elle, à travers ses propres interrogations. A travers le déroulé de son expérience, je me pose des questions avec elle. Qu'en est-il de l'institutionnalisation de la foi, la question du croire collectif à l'heure de l'individualisme des sociétés contemporaines ?
Les maitres du soupçon -les philosophes Marx, Nietzsche et Freud- sont passés par là, ils ont influencé pour toujours notre période historique. Il n'est plus possible de vivre Dieu et de vivre sa foi comme nos ancêtres. Ces derniers vivaient dans un autre temps, avec d'autres représentations, une autre cosmovision et d'autres moeurs. Là encore, il ne s'agit pas de jeter le passé, bien au contraire mais d'être dans une filiation avec lui. On ne détruit jamais tout pour reconstruire, nous sommes toujours les héritiers du passé, que nous le voulions ou non.
Et c'est dans cette optique que la critique du théisme par l'autrice -c'est-à-dire de cette vision d'un Dieu tout-puissant dans le ciel, extérieur à nous et qui intervient dans le monde- est plus féconde pour notre modernité. C'est évidemment une position hétérodoxe, voire hérétique d'un point de vue dogmatique. Encore que. le Dieu de Jésus-Christ est le Dieu vivant, Dieu parmi nous puisqu'il y a le mystère de l'incarnation du Christ, vrai homme vrai Dieu selon la théologie catholique. le Dieu intérieur, le Dieu des mystiques chrétiens est au plus proche de nous. Là aussi, une autre interprétation de Dieu. le Dieu vivant des chrétiens ne me semble pas être mis au ban au profit d'un panthéisme. le panenthéisme (tout est en Dieu sans pour autant être Dieu) est d'ailleurs aussi une perspective que les théologiens ne devraient pas écarter.
Concernant le sens des miracles de Jésus, il est tout à fait possible d'associer une interprétation symbolique, tout en écartant pas complètement le mystère de ces faits extraordinaires, de ne pas fermer la porte à l'irrationnel. Car nous ne pouvons pas tout comprendre, ni tout expliquer. Mais ce n'est pas parce qu'on ne peut pas tout expliquer qu'il ne faut rien expliquer ! Allier la réflexion à l'émerveillement, voilà qui est source de joie ! La richesse des interprétations diverses et variées ne doivent épuiser la Vie. La philosophie de Michel Henry est à ce propos une source incontournable, lui qui voyait bien le caractère irréductible de la vie et de son mystère inépuisable.
Si nous ne voulons pas étouffer dans un monde incapable de la moindre symbolisation, nous devons réhabiliter la pensée symbolique, tout comme la raison ; qui au lieu d'être froide, rigide et calculante peut être sensible, intuitive et imaginale. Nourrir et développer la sensibilité, l'imaginaire, la beauté, la contemplation, l'intuition et la créativité est capital pour la santé mentale et spirituelle de notre civilisation. le rêve, le symbole, l'imagination, la poésie sont essentielles à notre condition d'homme et de femme. Nous en priver c'est nous amputer de quelque chose d'absolument fondamental. le désenchantement contemporain et cette soif de merveilleux n'est sans doute pas étrangère à cette amputation du symbolique. La barre a tellement été dans le sens du rationalisme que le symbolique est fortement absent de nos univers et la pensée scientifique règne seule en maitre. La transcendance scientifique n'aurait-elle pas remplacé la transcendance religieuse ?
Il ne s'agit pas non plus d'être antiscience mais d'avoir encore une fois un rapport critique à la science qui irrigue nos pensées et nos imaginaires, parfois même sans que nous en ayons conscience. Et c'est loin d'être neutre. La science est basée sur des axiomes invérifiables comme le notait Edgar Morin. La science nous dit le comment ; elle ne nous dira jamais le pourquoi. C'est ici que la métaphysique prend tout son sens.
Transformer notre regard sur le monde, sur notre vie et la Vie. Réhabiliter l'insaisissable et ce qui nous échappe, sans mettre à la poubelle la raison, est peut-être le défi de notre époque. A l'heure des catastrophes écologiques, réenchanter le monde sans tomber dans certains pièges de l'irrationnel est un défi gigantesque et difficile. Ce serait mentir que de ne pas le reconnaitre. Avoir des convictions n'empêche pas d'essayer d'avoir une certaine honnêteté intellectuelle.
La foi et le doute sont indissociables. La lettre tue, l'esprit vivifie. C'est bien ici l'essence même du message d'Odile Ponton. Après un chapitre sur le croire, c'est une réflexion sur Jésus et sur sa résurrection qui complètent l'itinéraire de cette chrétienne en liberté. On sent la bienveillance de cette personne, qui au-delà de ses doutes et de ses difficultés a trouvé en elle de quoi nourrir sa foi et ses réflexions. Toujours dans le partage et la relation aux autres. La relation étant coeur de la spiritualité chrétienne. L'intelligence, le non dogmatisme, l'écoute, et le partage au service de la communauté. L'engagement d'Odile Ponton est un exemple inspirant, loin de la société du spectacle et des mondanités.
Comme une envie à la fin de cette lecture d'intégrer un groupe biblique. Cela donne envie de mieux comprendre et de partager avec d'autres personnes cet inépuisable trésor qu'est la Bible et dont on n'épuisera jamais la source.
Car ce que nous demande Odile est bien cela : nous mettre en marche vers l'interprétation des textes bibliques, des dogmes, de participer à ce christianisme du 21ème siècle afin de naitre à nouveau et de réaliser la promesse de notre baptême ; de suivre le Christ qui est notre seul maître. Chaque personne est appelée à pouvoir le faire, sans se comparer aux autres, chacun à son niveau et en fonction des envies et des possibilités de chacun. Car rien d'obligatoire, ce n'est pas une compétition mais une méditation, un chemin. Et celui qui commence ce chemin de méditation peut être bouleversé dans sa vie à tout jamais. C'est la métanoïa des évangiles, et Odile qui l'a vécue, est une boussole, un guide, pour aller vers cette lumière au fond de nous.

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