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Critique de Tricape


Délicieux petit exercice que celui réalisé par Alexandre Postel : à partir de recherches dans les archives et dans la correspondance de Gustave Flaubert, il imagine et nous conte dans le détail le séjour que fit à Concarneau au cours de l'automne 1875 l'auteur de "La Légende de Saint Julien l'Hospitalier". le plaisir procuré par cette lecture provient de son sujet, mais aussi du style de son auteur qui est comme un reflet de celui de son maître : avant tout un régal à savourer.

Atteint de mélancolie, Flaubert était très préoccupé par le risque de perdre Croisset, la propriété où il vivait près de Rouen depuis trente ans ; l'air de la mer et la fréquentation d'amis scientifiques, alors qu'il se battait déjà avec ses "deux bonshommes", devaient lui faire, pensait-il, le plus grand bien. Comme un homard se met à l'abri pour muer, il s'exile de la Normandie pour une lente guérison.

Voici donc notre homme installé dans une auberge ; nous le suivons dans ses visites au laboratoire de son ami chercheur qui dissèque les poissons, ses promenades et bains de mer, mais surtout dans ses pensées. Sa mélancolie se résorbe peu à peu. le travail d'écriture de Flaubert, l'obsession de la recherche du mot juste, celle de sa place dans la phrase, l'équilibre de celle-ci dans son ensemble, la recherche de la transmission fidèle de l'émotion ressentie par son personnage, la lutte permanente (quasi obsessionnelle et, dit-il, "perdue d'avance") entre ce qu'il aimerait pouvoir écrire et ce qu'il écrit nous sont rapportés avec une étonnante vraisemblance par Alexandre Postel. Les ratures, abandons, reprises, nouvelles formulations sont chez bien des écrivains des instruments courants, mais chez Flaubert tout se passe comme s'il n'était jamais totalement satisfait de son pinceau, de sa toile et de ses couleurs ou de son ciseau et du matériau à sculpter ; c'est cette tension asymptotique vers le style presque parfait qui fait le rayonnement de son oeuvre.

On trouve dans la Correspondance de Flaubert de nombreux passages où il se plaint de la considérable dépense d'énergie qu'il lui faut mobiliser pour accoucher d'une phrase qui ait l'heur de ne pas trop lui déplaire. Ici, nous assistons au spectacle fascinant du travail d'écriture de seulement quelques fragments de sa "Légende" et l'on est décontenancé en essayant d'imaginer ce qu'il a dû lui en coûter pour composer Madame Bovary.

À la fin de son court essai littéraire, Alexandre Postel a placé cette réflexion : « D'où vient l'inspiration, comment naissent les livres, ce qui pousse un homme à écrire, ces questions-là ne méritent pas qu'on s'y attarde. (…) Seule compte l'oeuvre accomplie ». Pour notre plaisir et en heureuse contradiction avec ses propos, il nous fait découvrir Flaubert à son atelier d'écriture.
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