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Critique de Nastasia-B


Ce volume regroupe tout le théâtre d'Alexandre Pouchkine, à savoir essentiellement sa tragédie historique intitulée Boris Godounov ainsi que plusieurs très courtes pièces ou fragments, parfois même seulement une scène.

Je considère Pouchkine comme un très grand écrivain mais assurément pas comme un grand dramaturge. J'aime son verbe, j'aime sa verve, j'aime son élégance, tout ceci convenant très bien pour la poésie. C'est ce Pouchkine-là que j'aime ; mais pour ce qui est du rythme, du scénario, des enchainements je suis beaucoup plus dubitative.

Je vais garder le gros-oeuvre, Boris Godounov, pour la fin et vous parler en premier lieu d'Une Scène de Faust, qui, comme son nom l'indique est une scène de Faust. Trois pages à peine, où l'auteur fait parler Faust et Méphistophélès du fait que rien dans la vie ne peut soutenir notre intérêt bien longtemps et que si l'on est en attente, alors on est forcément déçu.

Vient ensuite le Chevalier Avare, suite de trois scènes s'inscrivant dans la pièce homonyme de l'Anglais William Shenstone. L'on y voit un fils, au temps des chevaliers, incapable de tenir son rang car son père lui restreint tellement les vivres qu'il est dans un dénuement total. Pouchkine insiste sur le fait qu'un tel comportement borné vis-à-vis de l'argent de peut conduire qu'à détériorer les relations entre père et fils, voire, faire germer des idées malsaines dans la tête de ce dernier. La morale semble en être que la passion exagérée pour l'argent, loin d'apporter la richesse conduit à la ruine (morale ou matérielle).

Après vient une très courte pièces en deux scènes intitulée Mozart Et Salieri. J'y vois les bases du scénario du film de Miloš Forman, Amadeus. On y voit un Salieri à la fois admiratif et envieux à l'extrême à l'endroit d'un Mozart totalement insouciant et au génie facile.

Dans l'ordre du livre, on tombe ensuite sur le Convive de Pierre, réécriture partielle de Don Juan, on pourrait de même que précédemment intituler cette courte pièce : scènes de Don Juan. Cet épisode offre une version très différente de l'original de Tirso de Molina.

Dans la première version espagnole, si Don Juan est bien l'assassin du vieux commandeur, c'est pour avoir voulu ternir l'honneur de sa fille que le vieillard avait pris l'épée. L'amour entre la fille et le commandeur était donc d'ordre filial et la différence d'âge, entre les deux belligérants, importante.

Ici, rien de tout cela puisque le commandeur devait avoir sensiblement le même âge que Don Juan et s'il a perdu la vie, c'est en défendant l'honneur de sa femme.

La nuance est d'importance. Ce qui était une dénonciation de l'abaissement moral de l'aristocratie chez Tirso de Molina, devient du pur romantisme chez Pouchkine. Car il aime son Don Juan au point de rendre la veuve du commandeur, enfoncée dans un deuil sans fin, non insensible aux galanteries de l'assassin de son mari. Vous m'avouerez que la morale y perd un peu au change.

Et, malgré la brièveté de la pièce, l'auteur trouve le moyen de rendre plus ambiguë encore la position de Doña Anna, en lui prêtant des sentiments très mesurés à l'égard du défunt commandeur. Nous sommes donc en plein dans le drame romantique et Don Juan, loin d'être le suppôt du démon pervertissant ces dames, est en quelque sorte l'expression du rejet de la gent féminine pour les mariages imposés et dénués d'amour...

Toujours selon l'ordre du livre, on trouve après un fragment intitulé le Festin Pendant La Sieste, qui reprend un passage de la tragédie de l'écrivain écossais John Wilson, The City Of The Plague. On y voit les habitants d'un village décimé par la peste au Moyen-Âge se livrer à une manière de grand repas festif, essentiellement destiné à oublier et conjurer l'ignominie qu'ils viennent de vivre. Cependant, un prêtre souligne l'indécence de cette pratique, si près tant dans le temps que dans l'espace de tous les morts qu'ils pleurent.

Vient ensuite La Roussalka, pièce inachevée qui fait référence à une mythologie slave ayant inspiré plusieurs auteurs au cours du XIXème siècle. le plus vibrant avatar en est très certainement le superbe opéra d'Antonín Dvořák (je conseille à quiconque le fameux air de la Chanson de la Lune que Renée Fleming sait si bien restituer).

Les roussalkas sont des sortes d'équivalents de sirènes, au sens homérique du terme, mais officiant dans les fleuves ou les rivières. Elles sont supposées être les réminiscences de jeunes femmes trépassées dans les eaux. Elles ont la réputation d'attirer vers la noyade tous ceux qui s'abandonneraient à leur prêter attention.

Toujours aussi romantique, Pouchkine nous narre l'amour candide d'une fille de meunier pour un beau prince de l'aristocratie. ELLE, veut croire en l'amour, tandis que LUI, ne la considère, vous vous doutez bien, que comme une passade, qui doit prendre fin dès lors qu'il se mariera avec une femme de son rang.

Voilà quelques jours qu'ils ne se sont vus ; ELLE, a cette émouvante nouvelle à lui apprendre sur ce qui gît en son ventre, et LUI cherche ses phrases pour lui annoncer qu'il va la quitter à jamais. La rencontre est glaciale et d'ailleurs de courte durée. le beau prince s'en va, comme il était arrivé, sur son beau cheval, dont on entend le pas s'éloigner.

ELLE, tellement folle de chagrin et se jette dans le Dniepr et... je vous laisse découvrir la suite...

Enfin, dernière des petites pièces de l'ouvrage, Scènes Au Temps Des Chevaliers reprend un peu l'esprit du Chevalier Avare. On y suit Frantz, fils d'un riche Bourgeois nommé Martin, mais qui ne rêve que d'une chose : devenir chevalier et atteindre à la noblesse.

Son père menace de le déshériter s'il n'abandonne pas ses chimère et s'il s'évertue à poursuivre sa vie dispendieuse. Mais l'or est la dernière motivation de Frantz, seuls comptent pour lui les attraits d'une belle de noble sang et le pouvoir de l'épée. Est-ce s'exposer à d'amères désillusions ?...

Toutes ces petites pièces font, je l'avoue, pâle figure et ce même au XIXème siècle. C'est pourquoi j'ai gardé le meilleur pour la fin, à savoir, Boris Godounov. Alexandre Pouchkine avait probablement l'ambition avec cette tragédie historique relatant un moment clé de l'histoire russe de se positionner en pendant slave de William Shakespeare. Mais selon moi, il s'en faut tout de même de beaucoup pour faire de ce Boris Godounov une tragédie shakespearienne. Si les ingrédients et la recette sont les mêmes, le cuisinier est différent.

Certes, Pouchkine, avec le talent qu'on lui connaît sait manier sa plume avec agilité, passant d'un registre à l'autre, du tragique au comique, sans altérer jamais l'équilibre de l'ensemble, qui se veut plutôt tragique.

Tout comme son illustre prédécesseur britannique, l'auteur a su choisir un moment crucial et ténébreux de l'histoire russe, à savoir la période incroyablement troublée qui sépare la fin de la dynastie des Riourikides (avec Fédor Ier, fils d'Ivan le Terrible) du début de celle des Romanov (Michel Ier), soit 15 années, grosso-modo situées pendant le règne d'Henri IV en France et, comme par un fait exprès, durant la période fertile de Shakespeare en Grande-Bretagne.

Pendant ces quinze années, vont se succéder au Kremlin pas moins de cinq tsars, issus de quatre lignées différentes, plus une sixième si l'on considère l'exercice du pouvoir de la soeur de Boris Godounov avant l'intronisation de celui-ci.

Boris Godounov étant celui qui exerça le plus longuement le pouvoir durant cette période, celui dont les motifs étaient troubles, celui dont la mort est la plus mystérieuse, celui dont le successeur est le plus rocambolesque, celui, donc, auquel il était opportun de dédier une tragédie historique, ce que Pouchkine, le premier des grands écrivains russes, fit.

Godounov, homme de main et beau-frère du précédent tsar Fédor Ier, complote de faire trucider proprement le tsarévitch Dimitri, fils de Fédor et héritier légitime du trône. À la mort de Fédor, faute d'héritier et en sa qualité de grand chambellan, de beau-frère et commandant de la garde du palais du tsar, il se voit élire et prier de bien vouloir prendre le pouvoir. Feignant le désintéressement et redoutant que sa manoeuvre d'usurpation du pouvoir par l'assassinat du tsarévitch n'apparaisse trop grossière, notre brave Boris refuse une première fois le pouvoir.

Se faisant prier longuement et souhaitant une légitimité populaire, il finit, après plusieurs exhortations, par accepter de devenir tsar de Russie. Cependant, l'assassinat du tsarévitch, cet enfant de huit ans, continue de hanter les nuits de Boris Godounov.

Et la mauvaise conscience ne serait encore rien s'il n'était un certain Grégoire Otrepiev, jeune homme né la même année que le tsarévitch assassiné, issu d'une famille au service des Romanov (tiens, ce nom me dit quelque chose). Lors de la prise de pouvoir de Boris Godounov, celui-ci fait persécuter les " grands " du royaume, ceux qui pourraient vouloir lui contester son élection. C'est à cette occasion que le jeune Otrepiev prend la fuite et se réfugie dans un monastère où, muni d'un froc réglementaire, tout le monde le prend pour un jeune moine.

Instruit de l'assassinat du tsarévitch Dimitri dans des conditions nébuleuses et fort de son année de naissance, Grégoire Otrepiev a l'idée géniale de se faire passer pour Dimitri, l'héritier légitime du trône que tout le monde croit mort depuis des lustres. Qui pourrait croire une chose pareille ? Quelles pourraient être les conséquences ? C'est que je vous laisse le loisir de découvrir...

Cette pièce a eu le mérite de m'inciter à aller creuser un peu l'histoire ancienne de la Russie qui m'était presque totalement inconnue. Je ne peux pas dire que j'aie vécu un quelconque déplaisir à la lecture, mais, et c'est plus grave, je ne peux pas non plus prétendre le contraire. Il m'a manqué une alchimie, une poudre subtile qui rend le drame profond et l'écriture magique, comme Shakespeare sait parfois les peindre.

Voilà pourquoi mon impression reste mitigée, mon enthousiasme mesuré et mes recommandations tièdes pour cette pièce aux multiples décors, peut-être un peu trop à mon goût, engendrant de nombreuses discontinuités qui me semblent nuire à la tension dramatique qu'une telle tragédie historique serait censée créer. Aux dires de ceux qui l'on vue (ce qui n'est pas mon cas), la version opéra de cette pièce avec Modeste Moussorgski à la musique est vraiment très bien. Peut-être aurais-je donc tendance à vous orienter, en première approche, vers cette version avant de découvrir l'oeuvre de Pouchkine.

Donc, en conclusion, un Pouchkine dramaturge beaucoup moins à l'aise et plaisant que le Pouchkine poète, mais ceci n'est bien sûr que mon avis, semé là, par un coup de vent, dans le sillon inexorable de l'histoire, par nature peu soucieuse des critiques, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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