Tristan Poullaouec prend comme point d'ancrage de ses analyses, la prolongation inédite de la scolarité des enfants d'ouvrier et leur accès toujours limité aux savoirs de la culture écrite. Il souligne la nécessité de « comprendre à la fois les conditions de possibilité d'une telle amélioration et les réels obstacles sur lesquels buttent toujours les enfants d'ouvriers dans leur parcours scolaire ? ».
Le cadre du livre est cependant plus restreint, autour d'une double interrogation sur « la façon dont les familles ouvrières ont vécu l'ouverture des possibles scolaires et ont tenté de s'en approprier l'enjeu » et sur « les effets des diplômes obtenus sur les destinées professionnelles des jeunes générations »
Dans la première partie du livre « L'issue scolaire : une révolution culturelle », l'auteur décrit l'allongement des parcours scolaires et la montée de la préoccupation scolaire parmi les ouvriers. Il souligne que que « l'investissement des enjeux scolaires tend aujourd'hui à l'emporter sur l'auto-élimination du système éducatif. »
Une analyse détaillée, lui permet de faire ressortir quelques traits saillants de la nouvelle configuration : élimination différée, translation vers le haut des inégalités scolaires et prise en charge directe du tri social des élèves par l'institution scolaire.
Je souligne deux conclusions. « Tout ce passe comme si les ouvriers avaient aujourd'hui intériorisé la principe égalitaire affiché par l'école unique : tout élève a droit aux études longues quelle que soit son origine sociale, dès lors que ses résultats scolaires le lui permettent » et « le degré très inégal de résistance des familles aux jugements scolaires négatifs portés sur les élèves. »
Dans ce chapitre l'auteur interroge aussi les positions autour de la volonté de quitter la condition ouvrière ou du refus de l'héritage ouvrier, comme par exemple dans les livres de
Stéphane Beaud et
Michel Pialoux.
Citant les travaux de
Jean-Pierre Terrail, l'auteur indique que l'institution scolaire « privatise les biographies, en faisant de chacun le responsable de sa destinée : le succès professionnel dépend aujourd'hui du succès scolaire, et celui-ci semble dû exclusivement aux qualités individuelles de l'intéressé. »
Le second chapitre « Les trois destins scolaires des enfants d'ouvriers » analyse la diversité des parcours et fait ressortir que « Cette diversification se joue largement dès l'enseignement primaire » ou que « les différentes voies suivies par les élèves au sein de l'enseignement secondaire les préparent très inégalement aux apprentissages exigés par les études supérieures ». Il convient de lire particulièrement les sous parties « La genèse scolaire de la démotivation » et « Les bacs pro en porte-à-faux ».
Des analyses sur les méfaits du redoublement, des difficultés d'entrée dans l'écrit tel qu'il se fait réellement, la conclusion reste sans appel « L'école primaire divise … toujours ! »
Contre les thèses de démission des parents, le troisième chapitre traite des « paradoxes de la mobilisation familiale ». D'un coté, la montée des efforts parentaux et l'essor des mobilisations familiales, de l'autre l'inégalité des ressources, qui ne peut cependant pas être analysée comme un handicap mais plutôt comme une distance socio-culturelle.
Dans une dernière partie « Les diplômés face à l'emploi », l'auteur démonte les théories réactionnaires de l'inflation scolaire, souligne les exigences patronales de recrutement, et spécifie les parcours (des sans diplômes aux diplômés de l'enseignement supérieur), pour faire ressortir ce qui sera le titre du livre.
En conclusion, l'auteur souligne la mise en échec très tôt et « l'inégalité qui se joue fondamentalement en primaire. »
Je souligne la qualité de l'écriture de
Tristan Poullaouec. Tout en étant très rigoureux dans l'expression, l'auteur évite totalement le jargon sociologique, prouvant ainsi qu'il est possible d'user d'une langue agréable pour dénaturaliser les phénomènes sociaux.
Contre les fausses évidences sur les difficultés de scolarisation et l'égalité à l'école, un livre important. « Loin d'être des données naturelles, les facultés intellectuelles sont le produit de l'activité sociale susceptible d'évolution tout au long de l'histoire particulière de chaque être humain confronté à l'appropriation du patrimoine culturel de l'humanité. On ne naît pas bon ou mauvais élève, on le devient. »