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Critique de Brooklyn_by_the_sea


Marie, 35 ans, vient juste d'accoucher d'une petite Adèle, et déjà elle la met en garde contre la malédiction qui semble frapper les femmes de sa lignée, toutes prénommées Marie et toutes rendues hargneuses à force de frustration. Et Marie de raconter son histoire, et notamment sa mère, qui l'a élevée à coups de remarques cinglantes : "Tu te crois maligne ?" ; " Ca t'apprendra !" ; "Tu la vois celle-là ?" ; "Qu'est ce que tu crois ?". Une mère qui oubliait de venir la rechercher, qui lui interdisait les flans colorés, les Barbies, les jeans, et qui passait pour une folle auprès des autres collégiens, mais qui l'emmenait au théâtre et lui faisait écouter du classique. Comment se remet-on de ça ? Marie se réfugiait dans la lecture et l'écriture, et désormais écrivain et mère, elle annonce : "Je suis une connasse occupée à tuer sa mère dans un livre." Ouch.

Donc, ça cogne fort, mais tout en délicatesse. Comme avec "Feu", j'ai été saisie à la gorge et aux tripes par le style de Maria Pourchet, ses phrases courtes truffées de bribes de conversation. C'est un long monologue d'une densité rare -il m'a fallu 4 jours pour venir à bout de ces 120 petites pages ciselées au burin, qui visent juste et font mal à chaque fois. Difficile, en effet, d'éviter ces mots malveillants qu'on ne voit pas venir, et de ne pas compatir à la violence (verbale) subie par Marie, de ne pas s'émouvoir de ses efforts dérisoires pour résister, exister, tenter d'être heureuse quand même.
Il est donc question de maltraitance entre femmes, que ce soit dans le cadre familial, professionnel -et même obstétrical ; la sororité est ici un concept inexistant. J'ai aimé la façon dont l'auteur exploite cette thématique inhabituelle, qui détonne dans le contexte féministe actuel. Mais Maria Pourchet aborde aussi la notion de transfuge de classe, qui torture sa narratrice quand elle s'adresse aux générations de femmes qui l'ont précédée dans sa famille : "A mesure que je parcours le vocabulaire émacié de votre langue, l'étendue de votre souffrance ne m'apparaît plus, tant elle est vaste. J'ai honte. Je voudrais vous épargner ce livre de petite conne bien lettrée, bien nourrie. Je ne peux plus." En cela, elle m'a fait penser à l'Annie Erneaux de "La place".

Pas franchement le genre de livre à emporter à la plage, donc, tant c'est un concentré d'amour-haine, de l'extrait de douleur. Mais surtout, il est traversé par une rage de survivre, de stopper la malédiction, qui emporte tout sur son passage, et ça, c'est incroyablement fort. La dernière Marie est une battante, alors on se lève et on applaudit.
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