-Le docteur Fell, monsieur, a bon coeur, mais il vit avec sa soeur aînée, la vieille fille Miss Bibby, qui est une créature du diable. Et si nous sonnons à la porte du docteur, ce n'est pas le docteur qui viendra couvrir. Ce sera la vieille Bibby pour sûr, qui va nous agonir pour l'avoir réveillée.
Nous sommes tous une bande de singes en train de baragouiner des superstitions héréditaires dans un asile de fous.
-Quand vous étiez petite, est-ce que vous n'aviez pas peur que les gens ne soient pas aussi extraordinaires que dans les livres ?
Ce pèlerin caché en nous, errant, et qui pour le moment s'incarne dans notre chair et notre sang, mais qui souventes fois auparavant_ à travers les siècles et les sons- a humé les algues du grand large et le bois blanchi au soleil des navires naufragés et les vents glacés de l'Arctique, celui-là se réveille, et il explore les profondeurs de sa mémoire, comme de la poupe d'un navire voyageant, et il voit, comme dans un rêve, les ports et les îles.
L'idée bizarre vint à John qu'au cours de ses visites quotidiennes au mont du Calice et à force de bouleverser cette terre redoutable, Mr. Geard avait peut-être réveillé un esprit mauvais, délibérément placé là des siècles plus tôt par les mages celtes.
Bientôt John remarqua la présence d'un jeune homme de bonne carrure à la physionomie ouverte, apparemment en train de corriger un manuscrit.
Les doigts qui tenaient la plume étaient ceux d'un manoeuvre, mais le visage tour à tour penché et perdu dans le vague évoquait la distinction d'un érudit.
De sa mère, d'une lignée de poètes, Powys rapportera le caractère étrange, enclin davantage à la mélancolie qu'à la joie ; (...), de sa propension à la rêverie, de son imagination "débridée, lointaine", de son goût pour la poésie et la littérature. Et de sa liberté en la matière : toute épouse de pasteur austère qu'elle fût, elle n'a pas dissimulée sa préférence pour Walt Whitman, alors même que, dans tout l'Angleterre victorienne, les vers tumultueux de Feuilles d'herbe étaient , haut et fort, qualifiées d'obscènes. Et ce n'était pas non plus par goût du scandale. Mais par goût, tout simplement, pour un certain romantisme, pour la revendication exaltée de l'individualisme, et pour la mise en scène -et en poésie- du désordre cosmique.
De l'Intemporel elle est descendue dans le temps; de l'Innommé dans nos symboles humains.
Il était manifeste que l'esprit de cet homme était tout à l'obsession de sa passion frustrée. Ses émotions avaient couvé comme un feu lent jusqu'à ce que le feu ne soit plus que cendrière, tourbe brûlante, qui se nourrit d'elle-même, se consume d'elle-même.
Sam avait pris une nouvelle habitude, celle de se lier d'amitié avec les âmes délaissées de la ville. Il découvrit très vite que celles-ci existaient en plus grand nombre et sous des espèces plus incongrues qu'il ne s'en serait jamais douté dans les jours ou sa vita nuova ne le requérait pas encore. Jimmy Rake, entre toutes ces âmes délaissées, était une des plus solitaires. Les autres gars de la banque l'avaient pris pour tête Turc. Mr. Stilly le trouvait incapable. Sa longue logeuse de George Street déclarait qu'il n'avait pas toute sa tête.
La vérité était que James Rake, un orphelin de la petite ville d'Ilchester, était d'une timidité paralysante. Et de fait, cette timidité horrible était la seule justification qu'aurait pu fournir sa logeuse, quand elle trouvait qu'il n'avait pas toute sa tête, en même temps qu'elle était la cause principale de mépris de Mr.Stilly à son égard. Si le meilleur espoir de salut réside chez un jeune gars dans ce que les virtuoses de la vie en société appellent la "distinction", Jimmy Rake était condamné indubitablement. A l'école, un matin, un des petits garçons avait griffonné à la craie, sur le tableau noir, "Rake est idiot"; et même le maître dans son indulgence avait certes effacé l'insulte avec son chiffon, mais sans s'opposer au verdict populaire.
Rake était idiot. Il était idiot au cricket, au football, le moment venu des examens et, le pire de tout, il l'était avec les filles.