[...] sont peut être moins spectaculaires que celles du cirque et du zoo, mais pas moins efficaces. Je ne pense pas que la comparaison soit excessive, non seulement parce qu'en tant qu'homosexuels, transsexuels, travailleurs du sexe, corps racisés ou travestis, nous avons été aussi altérisés et animalisés, mais encore parce que ce que la médecine, la psychiatrie et la psychanalyse ont fait avec les minorités sexuelles au cours des deux derniers siècles est un processus comparable d'extermination institutionnelle et politique.
Contrairement à ce que pense la psychanalyse, je ne crois pas que l'hétérosexualité soit une pratique sexuelle ou une identité sexuelle, mais, comme Monique Wittig, un régime politique qui réduit la totalité du corps humain vivant et son énergie psychique à son potentiel reproducteur, une position de pouvoir discursive et institutionnelle.
Je vous demande encore quelques minutes d'attention, si toutefois vous pouvez écouter un corps non-binaire et lui accorder un potentiel de raison et de vérité.
[...] lorsque la différence sexuelle et les formes d'amour hétérosexuel et homosexuel que vous considérez plus ou moins normales ou pathologiques sont reconnues pour ce qu'elles sont: de grands artefacts de fiction que nous avons construits collectivement et que, s'ils furent un jour, qui sait, nécessaires à la survie d'un certain groupe d'animaux humains, ne sont plus aujourd'hui qu'une armure encombrante ne produisant plus rien d'autre que de la mort et de l'oppression. Des artefacts inventés et légitimés politiquement, des conventions historiques, des institutions culturelles qui ont pris la forme de nos propres corps au point que nous nous identifions à elles.
Le corps trans est à l'anatomie normative ce que l'Afrique était à l'Europe: un territoire à découper et à distribuer au plus offrant.
Partout le corps trans est haï, en même temps que fantasmé, désiré et consommé.
Mais pourquoi êtes-vous convaincus, chers amis binaires, que seuls les subalternes ont une identité? Pourquoi êtes-vous convaincus que seuls les musulmans, les juifs, les pédés, les lesbiennes et les trans, les habitants de la banlieue, les migrants et les Noirs ont une identité? Et vous, êtes-vous les normaux, les hégémoniques, les psychanalystes blancs de la bourgeoisie, les binaires, les patriarches coloniaux, sans identité? Il n'y a pas d'identité plus sclérosée et plus rigide que votre identité invisible. Que votre universalité républicaine. Votre identité légère et anonyme est le privilège de la norme sexuelle, raciale et de genre. Ou bien nous avons tous une identité. Ou alors, il n'y a pas d'identité.
Je n'avais cependant aucun désir de devenir un homme comme les autres hommes. Leur violence et leur arrogance politique n'exerçaient sur moi aucune séduction. Je n'avais pas la moindre envie de devenir ce que les enfants de la bourgeoisie blanche appelaient êtres normaux ou en bonne santé.
C'est la violence épistémique du paradigme de la différence sexuelle et du régime patriarco-colonial qui est remise en question par les mouvements féministes, antiracistes, intersexuels, trans et handi-queer demandant une reconnaissance en tant que corps vivant de plein droit de ceux et celles et cels qui avaient été marqués comme politiquement subalternes.
C'est ce régime du capitalisme mondial intégré, pour le dire avec Félix Gattari, que nous sommes en train d'abandonner aujourd'hui.