Ce que le discours scientifique et technique occidental considère comme les organes sexuels emblématiques de la masculinité et de la féminité, le pénis et le vagin, n'est pas plus réel que le Rwanda ou le Nigeria, que l'Espagne ou l'Italie. Il y a une différence entre une colline verte qui pousse de l'autre côté d'un fleuve et un désert qui s'étend du côté balayé par le vent. Il y a le paysage érotique d'un corps. Il n'y a pas d'organes sexuels mais des enclaves coloniales de pouvoir.
Ni à l'époque, ni aujourd'hui, je n'ai demandé qu'on me "donne" la liberté. Les puissants ne cessent de promettre la liberté, mais comment pourraient-ils donner aux subalternes quelque chose qu'ils ne connaissent pas eux-mêmes ? Paradoxe : celui qui attache est aussi emprisonné que celui dont les mouvements sont entravés par les cordes nouées.
Freud et la psychanalyse ont contribué à la stabilité de la domination masculine, en rendant la victime responsable du viol et en transformant en loi psychique les rituels sociaux de normalisation du genre, de violence sexuelle et d'abus des enfants et des femmes qui fonde la culture patriarco-coloniale.
Je m’adresse aujourd’hui à vous, académiciens de la psychanalyse, depuis ma « cage » d’homme trans. Moi, corps marqué par le discours médical et juridique comme « transsexuel », caractérisé dans la plupart de vos diagnostics psychanalytiques comme sujet d’une « métamorphose impossible », me situant, selon la plupart de vos théories, au-delà de la névrose, au bord ou même dans la psychose, incapable selon vous de résoudre correctement un complexe d’Œdipe ou ayant succombé à l’envie du pénis. Eh bien, c’est à partir de cette position de malade mental où vous me renvoyez que je m’adresse à vous […]. Je suis le monstre qui vous parle. Le monstre que vous avez construit avec vos discours et vos pratiques cliniques. Je suis le monstre qui se lève du divan et prend la parole, non pas en tant que patient, mais en tant que citoyen, en tant que votre égal monstrueux.
L'OMS, et non une association TransPédéGouine Anarcoféministe, affirme aujourd'hui que "le genre typiquement décrit comme masculin et féminin est une construction sociale qui varie selon les cultures et les époques". Et elle reconnaît qu'il y a eu et il y a encore des cultures (Samoa dans le Pacifique, celles des peuples Premiers d'Amérique, les Thaïlandais traditionnels) qui utilisent des taxonomies sexuelles et de genre non-binaire, plus fluides et plus complexes que la taxonomie occidentale moderne mondialisée à partir des années 70.
Il faut accepter l'irruption triomphale d'un autre futur en soi, dans toutes les cellules de son corps. Faire une transition revient à comprendre que les codes culturels de la masculinité et la féminité son anecdotiques comparés à l'infinie variation des modalités de l'existence.
Contrairement à ce que pense la psychanalyse, je ne crois pas que l'hétérosexualité soit une pratique sexuelle ou une identité sexuelle, mais, comme Monique Wittig, un régime politique qui réduit la totalité du corps humain vivant et son énergie psychique à son potentiel reproducteur, une position de pouvoir discursive et institutionnelle.
Je préfère ma nouvelle condition de monstre à celle d'homme ou de femme, car cette condition est comme un pied qui avance dans le vide en indiquant la voie vers un autre monde.
la vie est mutation et multiplicité.
Je suis le monstre qui vous parle. Le monstre que vous avez construit avec vos discours et vos pratiques cliniques. Je suis le monstre qui se lève du divan et prend la parole, non pas en tant que patient, mais en tant que citoyen, en tant que votre égal monstrueux.