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Critique de HundredDreams


S'attaquer à Marcel Proust, c'est comme tenter de gravir l'Everest. En tout cas, pour moi. Un sommet inatteignable pendant très longtemps, trop longtemps.
J'ai tenté de lire « du côté de chez Swann » à l'adolescence, lorsqu'au lycée, on se doit à se confronter à ces textes classiques. Mais j'ai trouvé l'histoire trop longue, trop lente, sans intrigue, sans intérêt. Les années ont passé, l'expérience s'est renouvelée, ces cuisants échecs laissant derrière moi un souvenir d'inachevé et d'incompréhension au regard des avis.
Alors cette fois-ci, pour gravir cette montagne, une des plus belles, sinon la plus belle, je ne suis pas partie toute seule. J'ai choisi comme compagnons de voyage deux belles voix, celles d'André Dussolier et de Lambert Wilson. Et là, le charme a opéré, je me suis laissée prendre par le style « proustien ».
Avec ces deux grands acteurs, la lecture des phrases interminables de l'auteur est devenue accessible et l'ascension ne m'a plus paru réservée uniquement aux lecteurs les plus chevronnés.

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Alors c'est vrai que le style de l'auteur est déconcertant. Quand on commence une phrase, on peut parfois se demander quand elle va finir. Les nombreux tirets et parenthèses, autant de digressions labyrinthiques, tels des tiroirs que l'on ouvre et referme, amènent le lecteur à s'imprégner de l'atmosphère et à être au plus près des émotions et des sentiments du narrateur dont nous suivons la pensée.

L'écriture de ces longues phrases marque un rythme lent, berçant comme la houle, en accord avec la pensée de l'auteur.
Les nombreuses métaphores dans les descriptions amènent une mélodie.

« Avant d'y arriver, nous rencontrions, venue au−devant des étrangers, l'odeur de ses lilas. Eux−mêmes, d'entre les petits coeurs verts et frais de leurs feuilles, levaient curieusement au−dessus de la barrière du parc leurs panaches de plumes mauves ou blanches que lustrait, même à l'ombre, le soleil où elles avaient baigné. »

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Le roman se compose de trois grandes parties, distinctes, mais en même temps indissociables.
Dans la première, le narrateur commence ainsi :

« Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n'avais pas le temps de me dire : « Je m'endors. » »

Il y évoque son enfance dans la demeure familiale de Combray, les nombreuses visites qui rythment sa vie, sa relation fusionnelle avec sa mère, et son amour pour la littérature.

Dans la seconde, le narrateur évoque la vie de Charles Swann, un ami de la famille.

Et dans la dernière, le narrateur relate ses rêves de voyages. Désirs d'admirer les tempêtes, envies de découvrir les paysages et l'architecture des villes de Normandie et d'Italie. Il évoque aussi sa maladie.

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Les descriptions très précises des personnages apportent une vision culturelle, sociétale, et permettent de dresser notamment un portrait de la bourgeoisie et de l'aristocratie de l'époque.
Et là, que c'est savoureux !

« J'habite à trop de milliers de mètres d'altitude au-dessus des bas-fonds où clapotent et clabaudent de tels sales papotages, pour que je puisse être éclaboussé par les plaisanteries d'une Verdurin… »

Avec quelle perspicacité, Marcel Proust dessine de beaux portraits, s'attachant à les décrire dans toute leur suffisance, leur médiocrité, leur méchanceté née de l'oisiveté, leur promptitude à juger au nom des convenances et du statut social. Calambours, métaphores et autres jeux de mots sont autant de plaisirs et d'éloquence mettant en valeur l'esprit brillant qui l'utilise à bon escient qu'une arme servant à ridiculiser celui qui en est dépourvu.

« le bonheur des méchants comme un torrent s'écoule. »

Avec la précision d'un scalpel, Marcel Proust explore les profondeurs de l'âme humaine, les jalousies, les souffrances et les tourments d'un amour irraisonné et déraisonnable, un amour non réciproque.

« Tu es une eau informe qui coule selon la pente qu'on lui offre, un poisson sans mémoire et sans réflexion qui tant qu'il vivra dans son aquarium se heurtera cent fois par jour contre le vitrage qu'il continuera à prendre pour de l'eau. »

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Marcel Proust s'attarde sur de nombreux lieux, Combray, Balbec, Guermantes, et c'est avec une grande minutie qu'il nous dépeint l'éclat de la nature, les belles demeures et en particulier l'intimité des chambres. On trouve de nombreuses descriptions révélant la beauté des paysages et des fleurs lors de longues promenades.

« La haie laissait voir à l'intérieur du parc une allée bordée de jasmins, de pensées et de verveines entre lesquelles des giroflées ouvraient leur bourse fraîche, du rose odorant et passé d'un cuir ancien de Cordoue, tandis que sur le gravier un long tuyau d'arrosage peint en vert, déroulant ses circuits, dressait aux points où il était percé au-dessus des fleurs dont il imbibait les parfums l'éventail vertical et prismatique de ses gouttelettes multicolores. »

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« A la recherche du temps perdu » c'est aussi relire des passages d'anthologie, comme celui de la madeleine qui symbolise la nostalgie provoquée par une saveur, une odeur et le souvenir qui replonge le narrateur dans l'enfance.

« Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d'autres plus récents ; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé ; les formes, – et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot – s'étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d'expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. »

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Une chose très étonnante. Je n'aurais jamais pensé rire en lisant Marcel Proust, mais contre toute attente, j'ai trouvé beaucoup de passages très amusants comme celui-ci.

"Les personnes flatteuses savent se faire bien venir et ramasser les pépettes ; mais patience, le bon Dieu les punit toutes par un beau jour…"

Est-ce voulu par l'auteur ? Je me suis posée la question. Cela tient-il à l'attitude snob, maniérée et hautaine de certains personnages du roman ? Ou au décalage dans le registre de langue, tantôt élégant, raffiné, tantôt familier ? Toujours est-il que le ton employé est très plaisant.

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Pour conclure, lire Marcel Proust, c'est un plaisir de lecture extraordinaire. C'est vivre également une expérience de lecture, à la fois intimidante, intime et méditative.

J'ai aimé le style de Marcel Proust, un style unique, harmonieux et recherché, d'une extrême précision et d'une richesse poétique incroyable. J'ai été agréablement surprise par les nombreuses situations comiques et l'humour très fin résultant des convenances et des hiérarchies sociales.

Une magnifique réflexion sur la mémoire, les souvenirs, le temps qui passe, la littérature et l ‘amour.

Bien sûr, « du côté de chez Swann » est à lire. Pendant longtemps, je n'ai pas compris les avis dithyrambiques sur cette oeuvre que je trouvais ampoulée et précieuse. Je pense maintenant qu'il y a un moment pour tout, un moment dans notre vie où le texte de Marcel Proust va raisonner en nous.

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