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Critique de Charybde2


Tome final, miracle de "bouclage" qui fait TOUT tomber en place et donne son sens à l'ensemble.

Publié en 1927 à titre posthume, le septième et dernier tome de « À la recherche du temps perdu », souffrant aussi au passage, comme « Albertine disparue », de quelques incohérences liées à l'absence des relectures jusqu'au-boutistes de l'auteur, constitue néanmoins une sorte de miracle à part entière : après 2 200 pages de narration foisonnante, après la mise en scène d'une bonne centaine de personnages à part entière, et après avoir ajusté des dizaines de situations, d'éléments, de bribes de sens encore ouvert, l'auteur procède à une formidable clôture, proposant enfin une réponse, LA réponse, aux doutes accumulés par son narrateur au fil de l'histoire, et donnant au lecteur, dans une spirale de vieillissement accéléré et d'emballement du temps, le sort de tous les protagonistes, dans une floraison de rebondissements ironiques et d'accidents non dénués d'humour noir.

Alors que la guerre de 1914-1918 fait rage désormais, énumérer tout ou partie de ces « issues » serait dommage, car la joie de les découvrir, et les destins parfois bien féroces concoctés par l'auteur, est partie intégrante du plaisir de la lecture de ce dernier tome : infortunes conjugales attendues ou surprenantes, décès aussi héroïques qu'inopinés, déchéances sociales accélérées par la guerre, réhabilitations posthumes de mécènes jusqu'ici cruellement traités par l'auteur, mariages et remariages inattendus,…

La cruauté de l'auteur ne manque pas au moment de donner leur place « finale » aux centaines de personnages qui ont parcouru la Recherche, voire dans certains cas une certaine satisfaction vengeresse exercée au nom d'autres personnages jadis particulièrement malmenés. Pour donner un exemple particulier, la réflexion, ainsi que les confidences tardives du narrateur sur la vie de Saint-Loup, permettent à la fois de constater, définitivement, l'absence presque totale de complaisance de l'auteur envers ses personnages, ainsi que de ressentir à quel point Schopenhauer (mais pas Nietzsche, justement !) hante l'âme de l'auteur (à la différence, notons-le au passage, de Musil, pour qui la prégnance des deux philosophes allemands se retrouve presque inversée).

En trois touches successives, le tome s'organise toutefois autour de la question centrale de l'oeuvre, plusieurs fois préparée et annoncée : d'abord les réflexions de Marcel sur son absence de dispositions pour la littérature, puis l'épiphanie en deux temps, née du pavé disjoint et de la vue renouvelée du livre « François le Champi », organisation du matériau passé en vue de produire de la littérature et rôle de la littérature dans la vie.

Et tout en faisant tomber maintenant chaque chose passée « à sa place » et en formulant enfin sa « théorie » littéraire et esthétique, l'auteur spécule à sa manière sur le hasard et la nécessité, sur les rencontres aléatoires et sur les chocs inexorables, anticipant là encore sur le travail de Musil dix ans plus tard. L'intrication du temps, de la matière et de la mémoire qui se constitue in fine en un réseau extrêmement serré et infiniment cohérent ne sera pas le moindre paradoxe de Marcel Proust, cousin d'Henri Bergson dont il niera cependant toujours avoir intégré ou même considéré le questionnement philosophique…

C'est bien ce tome final, court et dense avec moins de 300 pages, qui fait de la Recherche UN roman unique et hors du commun, un récit tendu en permanence et ordonné contre toute intuition initiale de lecteur en vue d'un objectif bien précis et fondamentalement ambitieux, malgré les dizaines d'habiles déguisements digressifs orchestrés tout au long de ses 2 400 pages, répondant in extremis à la question de Genette : « comment le petit Marcel est bien devenu écrivain ».
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