Citations sur Pirates ! (11)
Le pont est rougi de vin ou de sang. Qu'importe ! Le temps fuit rapide à bord de l’Épervier : tout est folie, entraînement, délire. Allez, allez, jouissez de la vie, elle est courte. Les jours mauvais sont fréquents : qui sait si aujourd'hui aura pour vous un lendemain. Amusez-vous donc, parbleu ! Saisissez le plaisir en tout et partout.
Si le Nouveau Monde a suscité autant de piraterie, c'est sans doute parce qu'il a incarné l'espoir d'un éden, pour ceux que la civilisation chrétienne européenne condamnait à l'exil et à la marge. Passé la folle espérance, leur déception n'a été que plus féroce, quand ils constatèrent combien ces nouvelles terres reproduisaient les dérives du vieux continent.
« Arrgh ! »
Un cri de ralliement, porteur d’images tenaces : perroquets moqueurs et jambes de bois, bandeaux et cache-œil, canonnades et sabres dégouttant de sang, insultes propulsées par une bouche dévorée par le scorbut et noyée par des rasades de rhum, mers déchaînées et trésors enfouis, planches et chansons imbibées, tortures et têtes de morts…
Une silhouette familière émerge de ces clichés, drapée d’une inexorable cruauté : celle du pirate. Qu’il se nomme Long John Silver, Barbe Noire ou Jack Sparrow, il est la promesse d’aventures sanglantes, de coffres dégorgeant d’or et de terreurs exquises.
Que l’image se brouille et se transforme au travers des âges, jusqu’à devenir celle d’un geek prenant à l’abordage les trésors du web, ou celle d’un terroriste menaçant avions et yachts, le serment restera le même : celui de palpiter, fasciné et séduit, face à cette ombre de nos civilisations et de nos chimères.
Curieux destin que celui du pirate, criminel aux attaques-éclairs devenu malgré lui personnage à la vitalité persistante !
C’est avec la littérature latine que le pirate devient un véritable barbare, sans foi, ni loi… et sans ambiguïté. Sa fertile carrière de méchant populaire se poursuit des exercices de déclamation aux comédies ou aux romans, en passant par les discours, les lois, et les essais historiques.
Les premiers récits de pirates interviennent dans les légendes attachées à Dionysos. Au fil de ses innombrables voyages à travers la Grèce et l’Asie Mineure, le Dieu et son cortège sont amenés à combattre des bandits des mers.
« Les premiers Grecs étaient tous pirates », écrit Montesquieu dans L’Esprit des lois.
Cette affirmation a de quoi surprendre le lecteur moderne, qui imagine mal les Grecs, inventeurs de la démocratie, en brigands des mers ! Tous les peuples primitifs de la Méditerranée ont pourtant exercé la piraterie.
Incarnation de la cruauté illicite de la contre-culture et du contre-pouvoir, on comprend mieux comment cette figure ambiguë a pu fasciner et générer autant d’incarnations à travers les médias. Mais comment réconcilie-t-on une telle ambivalence ? Comment transforme-t-on le barbare, le négatif des aspirations de la civilisation, en modèle radical et libertaire ? Comment l’imaginaire peut-il romancer un personnage aussi violent jusqu’à en faire un phénomène rock’n roll, aux cruautés jubilatoires et aux aventures haletantes ? Quels processus l’ont sublimé en archétype symbolisant la liberté ? Comment les ombres de l’Histoire sont-elles devenues les stars de l’Aventure ?
C’est cette longue récupération et distorsion à travers les siècles, les arts et les mentalités que nous nous attacherons à décrire : depuis les balbutiements antiques, où un mythe et un mot se créent et tâtonnent en quête de sens, en passant par l’explosion de la piraterie réelle et imaginaire du xvie au xviie siècle, jusqu’à la fixation romantique de l’archétype au xixe siècle et sa dilution-revivification aux xxe et xxie siècles.
Notre prédateur des mers n’est donc pas à confondre avec le corsaire, qui agit au service d’un pays, ni avec le flibustier, corsaire des Antilles n’aimant rien tant qu’à titiller les Espagnols, ni avec le boucanier, sorte de contrebandier chassant les animaux sauvages. Ni même avec le viking, qui, malgré sa nature de pilleur, n’a rien du forban mais tout de l’aventurier, « découvreur de terres », « fondateur d’État » : le normand n’est pas un individu en lutte contre la société mais constitue une société à part entière.
Sera appelé pirate celui qui se positionne contre la civilisation, contre la loi (des mers, fussent-elles réelles ou virtuelles, des airs, voire des routes ou autoroutes de l’information), celui qui est banni par la société – d’où son surnom de forban, celui qui n’agit que pour son propre compte.
Mais qu’est-ce qu’un pirate : un aventurier des mers ? Un pilleur patenté ? Un ennemi du droit commun ? Un rebelle ? Un barbare ? Un escroc ? Un héros ?
Qui sont ceux qui se nomment entre eux les frères de la côte ?