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Critique de LePalaisdeLaurent


J'avais lu la trilogie de Philip Pullman en français (l'éditeur a fait le choix de l'appeler chez nous À la croisée des mondes) il y a vingt ans et j'en avais gardé une image plus que positive. Grands succès de la littérature jeunesse / jeunes adultes britannique de la fin des années 1990, ces trois romans, à l'instar de Harry Potter (même si l'audience était toutefois moindre !), montraient que l'on pouvait s'adresser au jeune public avec des textes particulièrement intelligents et de qualité. Cette année, j'ai décidé d'en faire une nouvelle lecture, en anglais cette fois. Et je peux d'ores et déjà dire que je n'ai pas été déçu, bien au contraire. Cette trilogie entre même dans le cercle très fermé de mes coups de coeur absolus, tous styles confondus.

Avant de détailler un peu mon avis, une petite remarque sur la classification jeunesse de cette oeuvre : si les héros sont des enfants, que les éditeurs la considèrent, en général, comme de la littérature de jeunesse, la réalité est un peu plus nuancée. Pullman l'a, en réalité, écrite pour un public plus large, et si des enfants peuvent apprécier son aspect aventure et (science) fantasy, il faudra qu'ils soient de plutôt bons lecteurs (je dirais à partir de 11-12 ans) du fait de certains aspects de l'histoire parfois très noirs (certaines scènes sont vraiment effrayantes !), de la longueur de l'oeuvre, de ses concepts philosophiques et métaphysiques complexes.

Car derrière ses aspects divertissants, ce texte est aussi une relecture par Pullman du célèbre poème « Paradise Lost » de John Milton (1667), qui ouvre d'ailleurs la trilogie. Je vous le cite ici en VO car c'est de là que vient le titre original de l'oeuvre, His Dark Materials (« ses noirs matériaux »), ce à côté de quoi passe complètement la traduction française :

Into this wilde Abyss,
The Womb of nature and perhaps her Grave,
Of neither Sea, nor Shore, nor Air, nor Fire,
But all these in their pregnant causes mixt
Confus'dly, and which thus must ever fight,
Unless th' Almighty Maker them ordain
His dark materials to create more Worlds,
Into this wilde Abyss the warie fiend
Stood on the brink of Hell and look'd a while,
Pondering his Voyage...

Le premier tome, Northern Lights (Les Royaumes du Nord en français), est le plus accessible des trois. On y découvre l'héroïne principale, la jeune Lyra, onze ans, qui vit au départ au milieu des Érudits de Jordan College, à l'Université d'Oxford (on sent en Pullman un amoureux de cette belle ville où, comme Tolkien, il a enseigné). Mais ce n'est pas vraiment notre Oxford, ni même notre monde. On se situe en réalité dans un univers qui ressemble énormément au nôtre, mais légèrement différent, un peu Steampunk. Dans ce monde, chaque être humain naît avec un « dæmon » (une fantastique trouvaille !), qui est une sorte de personnification animale de son âme. le dæmon peut changer de forme lorsqu'on est enfant, puis il se fixe définitivement en un animal à l'âge adulte, reflétant ainsi la personnalité de son humain.

Lyra est la première grande réussite de ce livre : un personnage complexe, une enfant rebelle, obstinée, souvent menteuse, mais attachante et toujours pleine de panache. le lecteur va la suivre, ainsi que son dæmon Pantalaimon, à travers les plus de 1 000 pages d'aventure épique que comptent les trois romans.

Au départ, tout commence par une histoire de sauvetage : Roger, le meilleur ami de Lyra à Oxford, a été enlevé par un groupe obscur qui s'attaque aux enfants. Pour le retrouver, la jeune fille va devoir apprendre à maîtriser un instrument étrange, l'aléthiomètre, s'allier avec des gitans, partir pour le grand Nord où brillent les lumières nocturnes de l'Aurore, voyager en ballon, affronter de terribles dangers et faire de nombreuses rencontres. Quel dépaysement ! Et quelle galerie de personnages tous plus fascinants les uns que les autres : le gitan Farder Coram, la reine sorcière Serafina Pekkala, l'aéronaute texan Lee Scoresby, l'ours en armure Iorek Byrnison…

Mais His Dark Materials est bien plus riche que cela encore. Car derrière les enlèvements d'enfants, on découvre une lutte qui oppose notamment l'oncle de Lyra, l'ambigu et charismatique Lord Asriel, et la mystérieuse et inquiétante Madame Coulter, cette dernière étant au service de la puissante Église, et à l'origine des enlèvements. Et l'un des objets de cette lutte est une mystérieuse particule nommée « Poussière » que l'on trouve justement dans le Nord… Lyra va, sans le vouloir, se retrouver au coeur de ce conflit. Pour l'Église, la Poussière est nocive et liée au Pêché originel, tandis que lord Asriel s'intéresse à ses stupéfiantes propriétés scientifiques. Dans l'étrange monde de Lyra, la religion exerce une grande influence sur la science, les chercheurs étant même appelés « théologiens expérimentaux ».

Je n'entrerai pas ici dans les détails de l'histoire, mais dans les deux livres suivants, The Subtle Knife (en France, l'éditeur a choisi La Tour des Anges), puis The Amber Spyglass (Le Miroir d'Ambre), on découvre d'autres mondes (d'où le titre français !) qui représentent autant d'univers parallèles. On rencontre aussi une multitude de nouveaux personnages, dont Will, un jeune garçon de l'âge de Lyra qui se révélera être l'autre protagoniste principal de la série, et qui vient quant à lui de notre propre monde ! le « poignard subtil », artefact unique qu'il est le seul à maîtriser comme Lyra est seule à pouvoir vraiment comprendre l'aléthiomètre, est la clef permettant d'ouvrir des portes permettant de voyager entre les mondes.

L'oeuvre est dense, mais parfaitement construite. On y croise des anges, des créatures diverses et variées qui vont toutes se trouver embarquées dans une grande guerre qui menace l'équilibre de l'ensemble des mondes. Dieu lui-même (alias l'Autorité) en sera un acteur important ! À travers cela, deux thèmes majeurs sont traités par Pullman.

Tout d'abord, une critique féroce de l'Église et de la religion établie. Cela a fait notamment de ces livres la cible d'un certain nombre de fanatiques religieux. Pullman se revendique athée et s'oppose ainsi à ses grands confrères écrivains catholiques d'Oxford, à savoir C. S. Lewis et J. R. R. Tolkien. On l'a même parfois qualifié d'anti-Lewis tant l'oeuvre de ce dernier est explicitement chrétienne (Pullman la qualifie même de « propagande »). L'Église, dans His Dark Materials, est une dictature machiavélique qui n'hésite pas à tuer ! Et derrière cette critique, l'auteur nous conduit à nous interroger sur le sens de la vie, sur la mort, sur l'importance des choix que l'on fait, sur les notions de bien et de mal…

Ensuite, on trouve une réflexion sur le passage de l'innocence à l'expérience, de l'enfance au monde adulte, thème inspiré cette fois par l'immense poète anglais Willliam Blake. His Dark Materials est aussi un roman d'initiation où Lyra et Will vont grandir en traversant des épreuves, et mieux comprendre le rôle et l'importance des choix qu'ils font et de leurs conséquences.

L'ensemble est remarquablement écrit. Malgré le nombre de pages, on ne s'ennuie pas un instant. L'auteur est un maître dans l'art du « cliffhanger ». Et il faut encore ajouter à cela une bonne dose de poésie ! Une autre réussite majeure de cette trilogie réside dans sa fin. Je ne peux bien sûr pas la dévoiler ici, mais simplement dire qu'elle est l'une des plus marquantes et des plus émouvantes que j'aie jamais lues. Inutile d'en dire davantage, vous aurez compris que j'adore His Dark Materials. J'ai même ramené de la magnifique libraire Blackwell's d'Oxford un exemplaire de Northern Lights signé de Philip Pullman !

À noter qu'outre des bandes-dessinées (bof...) et une (superbe !) édition illustrée par Chris Wormell, His Dark Materials a fait l'objet d'adaptations radio, théâtrale, cinématographique (le premier livre seulement, jolie, mais perdant quasiment toute la richesse de l'oeuvre), puis d'une série (l'ensemble de l'histoire cette fois, plus fidèle parait-il, mais je n'ai pas eu l'occasion de la regarder ; je ne suis pas sûr d'ailleurs d'en avoir envie…). Philip Pullman est aussi revenu sur ce riche univers dans un certain nombre de petits ouvrages compagnons venant compléter divers aspects de l'histoire ou nous permettre de mieux connaître certains personnages. Depuis 2017, une nouvelle trilogie, The Book of Dust, est en cours d'écriture. Deux tomes sont parus à ce jour.

Je vous laisse avec une citation tirée du premier livre. Lyra discute avec la sorcière Serafina Pekkala. On y ressent particulièrement, je trouve, la fascination de Pullman pour les terres glacées du Nord :

“Why en't you cold, Serafina Pekkala?”
“We feel cold, but we don't mind it, because we will not come to harm. And if we wrapped up against the cold, we wouldn't feel other things, like the bright tingle of the stars, or the music of the Aurora, or best of all the silky feeling of moonlight on our skin. It's worth being cold for that.”

« Pourquoi n'avez vous pas froid, Serafina Pekkala ?
— Nous sentons le froid, mais peu nous importe car il ne peut pas nous faire de mal. Et si nous nous protégions du froid, nous ne sentirions plus tout le reste, comme par exemple le picotement brillant des étoiles, la musique de l'Aurore et, surtout, le contact soyeux du clair de lune sur notre peau. Toutes ces choses valent bien qu'on supporte le froid. »
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