Le grand encaisse sans broncher, sa tête est déjetée sur un côté et revient aussitôt à son emplacement initial. Pendant un instant, j'ai l'impression qu'un peu de fumée est sortie de ses oreilles, comme dans un dessin animé de Tex Avery, puis il attrape Cyril et lui colle une gifle monumentale, une baffe d'anthologie digne de Bud Spencer. Le bruit du choc m'évoque celui d'un morceau de viande qu'un boucher retourne sur son plan de travail en bois pour le couper. Un son à glacer le sang de l'équipe des All Blacks au grand complet ou de Mathilde, ma vieille tante maléfique à la jambe de bois.
À ses dons de vendeurs, qu'il doit essentiellement à sa proximité avec ses clients (mais également au fait que le Français aime acheter Renault) s'ajoute une prédisposition, doublée d'un entraînement redoutable, à supporter l'alcool. Avec ses deux ou trois apéros par soir 360 jours par an, il faut maîtriser son sujet pour ne pas, de temps à autre, accorder, sous le coup de l'enthousiasme distillé par son cinquième pastis sirupeux, une ristourne trop importante qui risquerait de fâcher le patron de la concession. Christian connait les gens, les bagnoles et l'alcool. C'est un cador dans son métier.
Le froid m'oblige à marcher un peu. Je sors des jardins de la mairie et traverse le centre-ville. Six-huit mille habitants, quelques magasins de fringues ou de sport, des boulangeries, une ou deux banques, des Nouvelles Galeries et une Maison de la presse. Peut-on vraiment qualifier ça de ville ?
Une excroissance au bord de la Garonne. Une anomalie au milieu des champs de fraises et de tomates. Un peu de béton essayant vainement de ressembler à quelque chose d'urbain. Et tout autour, des quartiers résidentiels comme celui où j'habite.
Rien d'agréable à l’œil. Pas le moindre bâtiment qui sortirait de l'ordinaire. De vagues enseignes vieillottes, des devantures ringardes et des maisons grises, collées les unes aux autres.
Un marécage. La mort du rêve.
Je suis plutôt tolérante, mais parmi les trucs que je ne supporte pas, se trouve la connerie crasse, celle qui découle d'un manque de curiosité, de l'absence d'intérêt pour quoi que ce soit et de la fainéantise, cette bêtise qui rend les gens peureux, racistes et parfois même tolérants à l'égard de Michel Sardou.
« L'amitié, c'est aussi savoir quels sont les sujets qui fâchent. »