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Critique de HordeDuContrevent


Pilar Quintana, auteure colombienne, m'avait beaucoup séduite avec son premier livre « La chienne ». Cette auteure semble, dans ces deux livres traduits en français, se focaliser sur l'amour maternel, du moins un amour maternel maladroit empêché par les failles passées.

Dans La chienne, en effet, elle y explorait, de façon atypique et féroce, le désir maternel et comment celui-ci pouvait être influencé par l'ensemble des failles de l'enfance. Au fin fond de la jungle colombienne, une femme ne parvenant pas à avoir d'enfant avec son mari et se rapprochant dangereusement de la quarantaine, reporte ce désir sur un chiot qui, une fois devenu chienne, va provoquer chez elle une forme de jalousie révélant ses abîmes intimes. Son manque de patience, son instabilité, sa frustration vont la ramener au drame vécu alors qu'elle était enfant. Réussir à se mettre dans la peau d'une mère grâce à cette chienne, c'est pour cette femme le déclic permettant de faire remonter à la surface son impossibilité maternelle et sa culpabilité liée au traumatisme passé.

D'amour maternel il est encore question dans ce second livre. Sauf que cette fois, il y a bien une enfant. Une petite Claudia dont la mère, qui se prénomme Claudia également, lui accorde peu d'attention et de temps et surtout est à l'origine de la destruction de la cellule familiale. Une histoire d'adultère vue à hauteur d'enfant qui peu à peu vire au cauchemar. A 8 ans, la fillette était jusque-là convaincue que « les mamans avaient des enfants parce qu'elles le désiraient ». La vie quotidienne, dans laquelle les adultes l'exposent sans trop faire attention à elle – ce qui nous amène à penser qu'elle-même désormais porte et portera des failles inhérente à son identité et certainement des failles problématiques lorsque, à son tour, elle deviendra mère- , comme si elle n'existait pas vraiment, va se charger de lui montrer que la réalité est plus complexe et plus cruelle. Seule avec sa poupée, la fillette, entre angoisse et résignation dans ce cocon familial qui ne joue pas son rôle de cocon protecteur, va tenter de mener son propre chemin dans cette jungle inextricable qu'est le monde des adultes.

Claudia est la fille unique d'un directeur de supermarché et d'une femme au foyer, femme d'une grande beauté qui trompe l'ennui en s'occupant des innombrables plantes vertes de l'appartement (à qui elle consacre plus de temps qu'à sa propre fille), en lisant des magazines people, et en accomplissant ses plus strictes obligations de mère. Quelques sorties dominicales avec son père rompt la vie morne de la fillette. Lorsque la mère trompe son mari avec Gonzalo, le jeune mari de sa belle-soeur, ce fragile équilibre familial vole en éclat. La petite fille est la témoin omnisciente de cette passion et assiste, impuissante et désarmée, à la découverte de la tromperie par son père et sa tante, à la colère du père, à la dépression de la mère désormais privée de son amant. Il est intéressant de voir comment la dépression d'un parent impacte avec violence une enfant.
La personnalité de la mère s'éclaire certes peu à peu. Nous comprenons que sa propre mère lui avait accordé peu d'amour, qu'un profond amour de jeunesse n'avait pu aboutir suite à l'interdiction paternelle dans cette société où un homme déjà marié auparavant n'est pas un bon parti…Autant de failles qui peuvent expliquer l'attitude distante et froide, voire la cruauté, de cette mère avec sa propre fille.

« Les douleurs avaient commencé au déjeuner. C'était la chose la plus horrible qu'elle avait jamais ressentie. Mon père l'avait emmenée à la clinique et là, elle avait souffert toute l'après-midi, toute la nuit, toute la matinée du jour suivant, encore toute une après-midi, avec l'impression qu'elle allait mourir, et encore une nuit complète jusqu'au petit matin.
— Elle est sortie violette. Horrible. Ils me l'ont mise sur la poitrine et moi, tremblante et en pleurs, j'ai pensé : Tous ces efforts pour ça ?
Ma mère a éclaté de rire si fort qu'on a vu son palais, profond et gondolé, comme le torse d'une personne mal nourrie.
— le bébé le plus laid de la clinique, a dit mon père »

Comme dans La chienne, Pilar Quintana adopte une écriture certes très simple à première vue mais qui sait, avec subtilité, faire basculer une histoire de prime abord banale dans le cauchemar.
Cauchemar provenant des questions terrifiantes qui hantent la petite fille la plongeant dans une intranquillité permanente…Son père, derrière un abord gentil et des manières affables, n'est-il pas capable du pire ? Où est Gonzalo désormais ? Sa mère est-elle capable de se suicider comme Grace Kelly dont les journaux de sa mère ont tant parlé ou encore comme Rébéca ? Claudia ne risque-t-elle pas de perdre l'un ou l'autre de ses parents ?

Une partie du livre se déroule en pleine montagne, vacances pour la petite famille censée être salvatrices. Elle montre comment la cellule familiale tente de se reconstruire, entourée d'abîmes, désormais extérieurs, enveloppants, donnant le sentiment que chaque personne est une figurine en carton, quelques points dans l'immensité, relativisant ces petites histoires de tromperie au sein de la nature majestueuse, nature dans laquelle la petite Claudia retrouve les jeux et l'innocence de l'enfance avant de se faire rattraper une nouvelle fois par le vertige des abîmes de ses parents sur lesquels la petite fille avance en équilibre instable…

« Alors l'abîme, puisqu'il n'arrivait pas à ce que je me jette dedans et qu'il ne pouvait pas me dévorer, entrait par mes yeux, une chose délicieuse et horrible, une petite boule bondissante dans mon ventre et une nausée dégoutante et pestilentielle, jusqu'à ce qu'il soit enterré bien profondément en moi ».


Creusant les abîmes passées qui eux-mêmes engendrent des abimes entre les membres d'une même famille, transmission intergénérationnelle, Pilar Quintana tisse, telle une araignée en pleine jungle, sans pathos, une histoire subtile qui plonge, de façon contemplative et lente, et non au moyen de rebondissements et d'intensité il faut tout de même le souligner, dans les traumas de l'enfance pour mieux les conjurer. Une histoire plaisante au thème délicat qui manque cependant d'un peu de profondeur pour être réellement marquante.

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