Peu à peu ça devenait la campagne, des revirements de falaises autour des forts couverts d'un gazon salé ; il y eut des arbres maigres, des guinguettes peintes en feuilles fausses, encore de l'herbe plus épaisse, plus vraie, quelques rochers, des vaches paissant, et par éclaircie, entre des collines s'abaissant, un horizon grisâtre d'un bleu acier : encore la mer.
Il me semblait que les pavés de la ville me chaviraient sous les plantes.
Je lui racontais des histoires où j'essayais de mettre un peu de ma dignité de nouveau gardien de phare.
Je pouvais dire que, depuis six mois, je n'avais pas vu de personnes humaines.
J'avais envie de pleurer et...
J'avais envie de rire, d'un mauvais rire de garçon qui se moque de la honte des filles nues.
Je rentrai un moment au phare, pour inscrire... les passants.
Plus de bourrasque, plus de beuglement : un petit "hou hou" sempiternel, une plainte de vieille geignarde agonisante, et le bruit de la pluie, un bruit de pattes maigres sautillant toujours à la même place.
Ceux qui vivent bien au chaud, dans leur cambuse de la terre ferme, ne se doutent pas de ce que c'est qu'une soirée passée en mer, sur un navire qui ne bouge pas, dans lequel on n'a donc pas l'espoir d'aborder quelque part et où on ne cesse jamais d'entendre le vent.
C'était une épave aussi, une toute petite épave humaine. Cela ressemblait à un petit bout de serpent, un petit bout de serpent rougeâtre dont la tête fuselée serait translucide, en porcelaine...
"C'était un doigt."
Ça sentait la marée, le pourri, les entrailles de poissons et bien d'autres choses encore que je n'ose dire.