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Critique de LadyDoubleH


Jusque dans la terre est le premier roman de l'Irlandaise Sue Rainsford. J'ai été fascinée par ce texte. Poétique et sombre, un réalisme magique un brin gothique à tendance horrifique, un conte féministe. J'ai aimé son équilibre et sa subtilité, tout en volutes et nuances – parfois malaisant, mais toujours suintant d'une forme de tendresse.

La plume de Sue Rainsford m'a emportée dès le premier paragraphe :

« Les étés, par ici, sont faits de longues herbes négligées, d'une uniforme lumière citron, de chaleur qui cuit la terre et qui fait vibrer l'air. Les ombres sont si noires, si profondes qu'elles semblent aussi solides, aussi vivantes que les corps qui les projettent.
Par ici, l'été, même les matins, quand je me lève, je laisse la chaude confusion de mes draps pour aller dehors, sur les pavés de la cour, et j'examine la grille de la bouche d'évacuation.
Entaille, petit trou, petit ravin.
Même par ce temps, une moiteur secrète y scintille.
Moi, elle me fait peur.
Cette canalisation. »

Ada et son père vivent en marge de la société, non loin d'un village – ni nommé ni situé. Ils soignent les gens – qu'entre eux ils appellent simplement « les Cures » –, en utilisant de bien étranges méthodes. Racontées d'un verbe moins inspiré, moins naturel, elles m'auraient glacée. Mais là, bon, et bien ma foi : cela fonctionne. Depuis aussi loin que le plus vieux d'entre les Cures s'en souvienne, la jeune mademoiselle Ada et Père ont toujours été là, pour les soigner et enlever leurs maux. L'opinion publique oscille entre vénération, frayeur et répulsion.

Mademoiselle Ada et Père, présences thaumaturges, prolongements ou incarnations d'une Terre imprévisible, cruelle et guérisseuse. La Terre, que Sue Rainsford convoque ici comme un personnage à part entière, et majuscule. L'écoulement des jours semble immuable : les Cures passent, Ada et son père guérissent. Mais Ada germe et se questionne. Et lorsqu'elle rencontre Samson, un jeune homme venu se faire soigner, elle va remettre en cause ce que tous attendent d'elle.

« Enfin, je me suis créé une ouverture, à laquelle j'ai ensuite donné une bonne douzaine de noms différents, et j'ai pu accueillir Samson en moi. Il fallait pour cela que le désir soit assez fort, et quand ç'a été le cas, il est apparu :
mon gant
mon plissement
mon sac »

Au-delà de son évidente étrangeté, Jusque dans la Terre se révèle alors récit d'émancipation, et de désir. Cette lecture est un voyage marquant, et surprenant jusqu'à la fin.

Quel talent pour un premier roman ! Je viens de rajouter Sue Rainsford à ma liste d'auteurs à suivre (et je me demande si Sue Rainsford et Max Porter (La douleur porte un costume de plumes & Lanny) ne partageraient pas un souffle poétique similaire, un rapport à la Terre remarquable et incarné.
Lien : https://lettresdirlandeetdai..
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