Citations sur Le complot des philosophes (La Source S) (38)
"Début mars 1810, quelque part entre l’Italie et la France
(...) Son cheval résigné, abruti, avançait au pas, ne cherchant plus à détecter les embuscades répétées des cailloux, indifférent à la rocaille qui lui raclait les sabots, donnant à son allure chaotique celle d’une monture en voie de désarticulation.
François commençait à être pressé par le temps, mais il ne résista pas à l’envie d’initier de brèves recherches sur Google concernant l’historienne Laura Zante. Des actes de colloques, des couvertures de livres, des horaires de répétitions dans des institutions universitaires, des articles en libre accès, aucune photo d’elle. Curieux. Il passa sur Facebook, et là encore, rien. Il y avait d’autres Laura Zante, l’une coiffeuse à Honolulu, l’autre ornithologue en Nouvelle-Zélande, l’autre encore jeune adolescente de Québec, productrice de selfies à la chaîne, mais pas de profil d’une historienne sicilienne. Étrange."
Madame Zante,
Votre courriel m’est bien parvenu.
Compte tenu de la situation d’urgence que vous évoquez, je peux vous recevoir aujourd’hui à 16 heures dans mon bureau à la Sorbonne.
Il cliqua sur « Envoi », et n’attendit pas dix secondes pour recevoir la réponse :
Merci infiniment, Professeur Lapierre, je serai là au rendez-vous.
Elle était manifestement au taquet.
Sénèque, en grand tragédien, connaissait les hommes, il a précisément joué sur une corde sensible de l’âme humaine, un mécanisme psychologique pour être exact, décrypté, étudié et formulé bien longtemps après lui. Un récit inventé auquel on croit peut très bien devenir un récit historique accepté comme tel si ceux qui le répercutent ensuite sont convaincus par sa crédibilité. Il ne faut pas plus d’une génération pour que cette alchimie opère, que de récit s’habille de témoignages formulés avec conviction, d’autant plus facilement dans environnement où l’esprit critique n’est pas une priorité.
Elle regarda la croix du Christ comme si un message venait de lui parvenir, ses traits se détendirent, elle serra la photo contre son cœur, de toutes les forces qu’elle pouvait encore offrir face au destin implacable. Elle n’avait pas manifesté son désarroi ou sa colère envers un dieu insensible au contraire elle reprenait des forces devant le mystère insondable qu’elle attribuait à sa volonté.
- Donc, chère Laura, s'entendit dire François, nous savons que ceux qui ont écrit les évangiles n'ont pas pris de notes lors des interventions de Jésus, ils ont pris la plume des décennies après la mort du Christ, ils ne l'ont pas connu, ils ne parlaient pas sa langue, mais s'exprimaient en grec, ils n'habitaient pas dans la région où a vécu le Christ, ils vivaient dans des villes lointaines, ils ont recueilli des traditions orales dont la trajectoire est aléatoire.
Quant aux disciples, c'étaient des ruraux illettrés parlant l'araméen comme Jésus.
Dès lors, la chance qu'un évangéliste et un disciple, ou même un témoin oculaire se soient rencontrés un jour dans ce monde est donc objectivement nulle.
Nous sommes forgés comme ça dès notre naissance. C'est pourquoi marcher sur l'eau, multiplier les pains, réanimer les morts ne nous semble pas ridicule, mais au fond, et le mot est fabuleux, plausible, parce qu'ils sont validés dans des évangiles canoniques. Peut-être juste un peu ridicule quand même, mais alors vous compensez par l'analyse métaphorique, en expliquant qu'il y a un sens caché à la description de ces impossibilités physiques. Vous en faites même une discipline intellectuelle, que l'on appelle la théologie. Si le dragon dont je parlais devient Satan, alors il a son passeport pour entrer dans vos valeurs culturelles.
Un récit inventé auquel on croit peut très bien devenir un récit historique accepté comme tel si ceux qui le répercutent ensuite sont convaincus par sa crédibilité.
Mon projet était extrêmement simple : raconter une belle histoire facile à comprendre, qui contiendrait sans l’afficher l’essentiel du message stoïcien, la faire diffuser comme une rumeur parmi les foules, et ne jamais permettre l’identification de son auteur pour qu’elle reste une rumeur libre qui enfle et se transforme au gré des récits colportés. La force de diffusion d’une rumeur anonyme peut être stupéfiante et changer le cours de l’histoire, si cette rumeur répond à une attente du peuple.
En fils de la Révolution française, Napoléon comptait faire traduire et publier ces archives, pour contribuer à la vérité historique et à la dénonciation de l’ignorance de l’Église contre la science. Il voulait une édition avec le texte original et la traduction française, pour se soustraire à toute accusation de manipulation. Nous sommes loin d’un tyran qui ne pense qu’à asseoir son pouvoir personnel.