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Critique de michelcombebellin


CE GROS PAVÉ EST UN PETIT BIJOU DE TENDRESSE ET DE DRÔLERIE !

Ce livre enthousiasmera celles et ceux qui restent jeunes, non dans leurs artères, mais dans leur coeur. Ils y déchiffreront de la tendresse alors que les adultes trop raisonnables, les vertueux, es spécialistes en catégories ("pédophilie", "gérontophilie", "éthique", etc.), également les moralisateurs, les pisse-vinaigre et les cathos rabat-joie, tous, se boucheront le nez en déclarant doctement, sans avoir lu une seule ligne : « Pouah ! Ça sent à plein nez la pédocriminalité ! »

Sauf que ça n'a rien à voir. Absolument rien. Tout est ici question de regard. Si tu es pervers, tu as des yeux de pervers et tu trouves qu'un livre est pervers. Si tu as une âme d'enfant, tu as un regard innocent et tu goûteras le récit autobiographique de PAUL REGERS comme un récit d'avant l'invention du péché originel : l'histoire d'une rencontre improbable mais fraîche, tendre, drôle, osée et, j'ose le mot, pure.

Est-ce parce que j'ai l'âge du vieux Roger courtisé par ce chenapan d'Eric ? Est-ce parce qu'un de mes fils soupire que je demeure un éternel et incorrigible "homme enfant" ? Est-ce parce que ma seule ambition est de "regrimper en enfance" plutôt que d'y retomber sénilement ? Est-ce parce que moi-même, à dix ans, je m'efforçais de séduire habilement mon "gentil ogre", avec mes cheveux en brosse et ma blouse réglementaire de jeune séminariste jouant au petit saint (je viens de raconter mes exploits d'angelot enjôleur dans mon récit fragmenté "Quelques amours de l'abbé Julius" édité chez LEN)... Bref, je ne sais et peu m'importe. Ce que je sais, c'est que « LES HISTOIRES SECRÈTES N'EXISTENT PAS » ont été pour moi un bain de jouvence ! Une gourmandise. Une sorte de délicieux bonbon acidulé. Ça tombe bien car, durant 700 pages, on peut faire durer le plaisir !

Car, oui, cette histoire secrète-ci existe bel et bien, grâce à la sincérité et au talent de son auteur. Car jamais l'ennui ne menace. Jamais ne pèse la complaisance. Au contraire. Brefs chapitres après brefs chapitres, l'action avance, la relation s'étoffe, se nuance et se corse, au fil des pensées intimes des deux protagonistes, de leurs émotions, de leurs émois, de leur pacifique combat... de l'enfance jusqu'à la fin de l'adolescence, l'auteur narre une incroyable histoire d'apprivoisement amoureux entre Eric le Futé et son « Apollon du 3e âge ». Duo-duel car il est question d'élection affective tâtonnante autant que persévérante. Et la "liaison" entre le vieux et le gosse espiègle existe bel et bien, grâce à l'habileté et à la délicatesse de l'auteur qui a su si bien agencer ses propres souvenirs, les accompagner des airs du juke-box des années 70, décrire le pittoresque aréopage des "retraités de 18 heures" se réunissant quotidiennement au Bar des sables de Berck dont le Petit Prince se prénomme Éric. Qui est un gosse tout à fait normal, socialisé, à l'aise à l'école et parmi ses copains (et sa bande des terribles Nègres Blancs organisant une razzia nudiste sur la plage !), et en même temps un enfant puis un ado tout en intériorité, en complexité, en perplexité sur ce qui lui arrive, sa sexualité, l'approche des filles, forcément un peu hors-norme et… malin comme un singe, car il sait, lui, ce qu'il veut ; il n'a pas froid aux yeux. Tout en se questionnant : « Qui, à son âge, aime autant un grand-père ? » Amour, le grand mot est lâché. Car, dans ce livre, l'Amour majuscule est roi. le vrai, celui qui combine tendresse et sensualité. Sans tabou car, comme disait Nietzsche, « ce qui se fait par amour, se fait toujours par-delà bien et mal. » En ce sens, en tant que lecteur bouleversé, j'ai lu d'une traite les 50 dernières pages lorsqu'approche le fameux anniversaire, celui des 16 ans d'Eric, « la frontière du possible ». Aujourd'hui, on parlerait volontiers et sottement d'emprise scabreuse d'un mineur sur un adulte, alors que naguère, en tout cas dans ce livre, il ne s'agit que d'entreprise amoureuse un peu hors-norme. Et jamais la ligne jaune n'est franchie. À une époque (les années 1970) où l'éducation sexuelle n'existait pas, où la misogynie s'affichait tout naturellement, où Menie Grégoire peinait à expliquer l'infinie richesse de l'enfant qui n'est pas un petit robot à embrigader ou à dresser... eh bien, Éric, à 11-12 ans, puis plus tard, doit se frayer un chemin seul, comme un vaillant petit soldat, osant presque tout puisqu'il ne voit le Mal nulle part ! Surtout pas chez ce papy si costaud et si beau qu'il veut aimer un jour totalement selon son Plan secret.

Oui, quelle magnifique histoire que ce récit initiatique si tendre, si drôle, si ingénument décalé ! Très souvent j'ai pouffé et eu envie d'applaudir. En écrasant parfois une larme d'émotion, tant c'est drôle, tant c'est émouvant. Et à la toute fin du livre, pourquoi n'avouerai-je pas que j'ai pleuré, touché par un sommet émotionnel rare, sans pathos pourtant, avec une mélancolie immense qu'évoque si bien le plat pays fait de grisaille et de pluie. Tout au long du livre, en tant que lecteur mis dans la confidence, je découvrais au fil des pages les petits mots d'amour griffonnés par l'enfant et cachés dans la casquette écossaise de Roger. Ce sont des perles d'amour pur, pas de la verroterie ! C'est touchant, gonflé, drôle, digne de « La vie devant soi » ou « le vieil homme et l'enfant ». On comprend que ce grand-père au look de catcheur et au coeur gros comme ça soit troublé par le gosse (sa mauvaise humeur — jalousie ? —quand il est confronté au « hit-parade des grand-pères » dressé par Eric délaissé !) tout en maîtrisant parfaitement la situation, le cas échéant au moyen d'une bonne fessée.

En résumé, chez moi, beaucoup de trouble, de plaisir, d'émotion. Une sorte de complicité et d'immense tendresse qui m'ont fait rajeunir. Quand un bouquin vous donne un coup de jeune et aussi l'envie d'oser l'amour, qui peut s'en plaindre ? Pas seulement une cure de jouvence, mais une envie d'émancipation et de liberté ! Car bizarrement, au fil des pages, je me suis senti l'alter ego des deux : de Roger l'Ancien et de ce petit Éric qui n'avait pas froid aux yeux. Serait-ce avouer une nostalgie, plus douce que culpabilisante : le regret de n'avoir pas vécu ce type d'attachement (car moi, j'étais un enfant timoré, docile, déjà normé et castré par le catholicisme) OU BIEN — troublante alternative, non ? — le désir secret de vivre aujourd'hui (car je suis, dit-on, un senior doué pour l'amour) oui, vivre, comme ce vieil Hercule au coeur de midinette, vivre à fond, hors jugement moral, hors verrou de l'âge ou des convenances ou des bonnes moeurs ou de la respectabilité bourgeoise, en tout cas hors catégories sclérosantes (le corps, le sexe, la différence d'âge, la pédérastie, le permis, le défendu, etc.). Vivre ce merveilleux APPRIVOISEMENT, façon Sahara visité par l'aviateur-écrivain ou sur la plage de Berck (là où autrefois je n'ai jamais osé “connaître le grand frisson des dunes ”!) : « Que signifie apprivoiser ? Ça signifie créer des liens. On ne connaît que les choses que l'on apprivoise. Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi ! »

Chiche ? Donc, prends et lis ce livre. Laisse-toi apprivoiser par lui. En toute confiance. En toute connivence. En toute innocence. Avec, j'espère, beaucoup d'appétence. En tout cas, en toute impunité car la fable ne dit pas si le quêteur d'affection était un jeune goupil ou un très vieux renard ! Quant à l'enfant aux cheveux d'or, entreprenant et si mélancolique, il reste à jamais sans âge… Une histoire d'Amitié amoureuse, en 1943 comme en 1971 voire en 2023 mérite toujours d'être contée. Et savourée, si possible sur une rengaine de juke-box dans une ville du Nord : « Je pourrais me damner pour un seul baiser volé, pour un flirt avec toi… pour un flirt avec toi, je ferais n'importe quoi… »

Ce serait quoi, ce “n'importe quoi ”? L'innocente rencontre d'un enfant persévérant et d'un papounet pédagogue qui durerait une éternité d'Amour !

Michel Bellin, auteur

Lien : https://www.michel-bellin.fr
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