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Critique de Nastasia-B


L'histoire est ingrate ou du moins a-t-elle une mémoire sélective. À mesure que s'éteignent ceux qui ont vécu une époque et qui pouvaient dire à tous ce que vraiment elle était, l'époque efface des noms, discrètement, en catimini, et n'en conserve au mieux que deux ou trois, c'est heureux, le plus souvent un seul, c'est fâcheux mais c'est comme ça.

Voilà pourquoi, vu d'où nous sommes, nous avons la faiblesse d'esprit de dire : " le grand auteur de ce siècle était... " C'est évidemment une absurdité puisque les grands hommes ne poussent jamais seuls au milieu d'une terre nue, déserte, hostile à tout autre.

Les grands hommes, les géniaux inventeurs, les novateurs de tout poil, quand on y regarde de près, ne sont pour la plupart que la suprême représentation d'une tendance qui était très à la mode en leur temps et dont ils étaient de malicieux suiveurs.

C'est ainsi que l'histoire, dans ses crises d'amnésie, n'a retenu pour le XVIIème siècle français que trois noms de dramaturges. Deux pour la tragédie, c'est heureux (Corneille & Racine) et un seul pour la comédie (Molière), c'est fâcheux, mais c'est comme ça. Encore devons-nous nous estimer heureux avec trois ou quatre noms passés à la postérité car de la pouponnière d'auteurs qu'était la scène du théâtre élisabéthain on ne retient que Shakespeare et du siècle d'or espagnol que Cervantès. Quelle ingratitude pour les autres, et quels autres !

Pourtant des tragédiens de ce siècle, si l'on voulait s'en donner la peine, on en trouverait à la pelle, et même d'assez honnêtes. Je ne vous parle même pas des auteurs de comédies qui fourmillent à cette époque. Rien qu'en sélectionnant les bons grains de l'ivraie, de ces auteurs et de ces pièces oubliées, les gens de chez La Pléiade ont réussi à en faire trois pleins volumes. Ça vous en bouche un coin, non ?

Et bien notre ami Jean-François Regnard est de ceux-là. Franchement, c'est mieux écrit que Molière, toujours très fin, très subtil, annonçant déjà Voltaire ou Beaumarchais, loin des quiproquos un peu lourdingues et répétitifs de Molière.

Certes, j'avoue qu'il n'y a pas chez Regnard de ces points d'orgue fulgurants qui sont la grande arme et le grand atout de Molière comparativement à tous les autres, mais s'il monte moins haut, je dirais aussi qu'il descend moins bas.

Ici, l'auteur s'intéresse à un problème archi connu, celui de l'addiction au jeu et les conséquences néfastes que cela peut avoir. À l'époque, ne jouent que les gens de la très haute société (donc cela ne fait pas tellement de monde, tout bien considéré) et parmi cette petite portion de joueurs, les cas d'addiction maladive au jeu sont connus mais demeurent du registre de l'exception.

Jean-François Regnard ne se doutait probablement pas qu'il mettait le doigt sur un vrai problème, bien plus vaste que cette comédie de caractère ne le laisse supposer. On sait combien, depuis que tout un chacun peut librement perdre ses économies dans le jeu, nombreuses sont les personnes susceptibles de contracter une addiction. (Nous en savons quelque chose ici sur Babelio, en matière d'addiction, car nous sommes tous plus ou moins des malades d'addiction à la lecture.)

Ainsi, nous côtoyons Valère, un beau jeune homme de belle famille, amoureux d'une belle Angélique, elle aussi riche et de belle famille. Tout va pour le mieux, me direz-vous, puisque ces deux-là s'aiment et échafaudent de se marier dans le meilleur des mondes possibles.

Oui mais non, cela ne fonctionne pas toujours aussi bien que les apparences en donnent l'air. Valère est un joueur acharné, tellement piqué au tric-trac qu'il s'est tissé un manteau de dettes, bien épais et bien chaud qui le suit partout.

Cette attitude l'a conduit à la brouille avec son père, qui pourtant l'aime et l'apprécie mais qui ne supporte pas de savoir son fils tellement dissipateur et mordu aux chimères du jeu.

Mais ce n'est pas tout, car Angélique commence à se lasser des promesses d'abandon de jouer, mille fois réitérées, jamais mises en pratiques.

Sur ce canevas de base, l'auteur va greffer un faisceau d'intrigues amoureuses destinées à accroître le comique qui ne résiderait sans cela qu'entre les relations qu'entretient Valère avec ses créanciers.

Nous voyons donc arriver une soeur d'Angélique, comtesse et veuve de son état, un marquis enragé aux choses de l'accouplement, un oncle de Valère aux prétentions justifiées et une querelle larvée entre frères que je vous laisse le soin de découvrir.

Le panorama ne serait pas complet si j'omettais de vous parler de l'importance dramatique des valets, Hector pour Valère et Nérine pour Angélique qui jouent vraiment l'un et l'autre, en sens inverse, un rôle prédominant dans le devenir de la relation amoureuse principale.

Chut ! Je n'en dirais pas davantage, si ce n'est que c'est une pièce oubliée qui mériterait qu'on se souvienne plus d'elle tellement elle est fraîche et plaisante, rythmée et pas du tout hors sujet de notre époque quoique vieille de plus de deux cents printemps.

Mais de ceci, faites ce que vous voulez car ce n'est là qu'un avis, c'est-à-dire bien peu de chose. Ne jouons pas avec ça, ne laissons pas l'avis de quelques uns nous dire : " Ceci est bien, ceci ne vaut rien. " car c'est ainsi que l'histoire procède pour barrer certains noms et en retenir chaque fois moins au risque de perdre en nuances et en diversité.
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