Bien que je m'y attende plus ou moins, j'ai éprouvé une sensation de vertige et de démoralisation. Les humains n'étaient pas conçus pour ces choses-là – on avait évolué pour traîner autour du même village, dans le même fuseau horaire, sous les mêmes étoiles fixes.
Tandis que des centaines de g bruts plantaient leurs crocs dans le tissu de sa coque, il s'est fendu en deux telle une carcasse, puis il a irradié l'éclat de son moteur à l'agonie, une sphère blanche qui devenait violette puis noire sur son pourtour parfait. Elle a enflé d'un coup, englobant toute l'impasse en un clin d'oeil. L'espace d'un moment de délire, celle-ci l'a retenue, même si l'impasseur qui avait tissé son champ n'était plus qu'un nuage de particules fondamentales au coeur de l'explosion.
C'était un visage qui me contemplait comme à travers la visière d'un casque. Il n'était pas humain, mais je devinais qu'il l'avait été, dans un passé lointain. On aurait cru une figure sculptée sur une falaise et soumise à l'action des éléments pendant une éternité jusqu'à ce que les traits ne soient plus que des traces résiduelles. Les yeux seuls mesuraient dix mètres de large ; le visage, dix fois plus. La bouche était une crevasse noire dans le granit de sa chair grise. Le nez et les oreilles n'étaient guère plus que des monticules arasés sur un flanc de colline.
On accumulait de l'expérience sans raison précise, on étirait nos existences sur des millions d'années, mais même quand tout se passait bien – qu'on ne nous attaquait pas pour nous laisser au bord de l'extinction –, une angoisse névrotique subsistait au fond de nous, une voix aiguë qui nous disait de tout voir, de regarder derrière chaque coin, de retourner la moindre pierre. On était des enfants qui devaient goûter tous les bonbons de la confiserie, quitte à en avoir mal au ventre.