Sur les rives de Manhattan

Entre-temps, Sarah Yetta avait réalisé que la vie avec la belle-mère de sa mère serait insupportable. Sarah Yetta adorait lire, mais la belle-mère d'Hannah était d'avis qu'une fille ne devait s'occuper que du ménage et de la couture; à dix ans, elle était une demoiselle et à quinze ans il fallait la donner en mariage. Un jour, la belle-mère de sa mère surprit Sarah Yetta en train de lire - un livre russe, qui plus est. La scène qu'elle lui fit ! Les livres étaient affaire d'hommes et si seulement Sarah Yetta cessait de se mêler de ce qui ne la regardait pas, elle aurait de jolies robes et tout ce qu'elle désirerait. Sarah Yetta répondit que ce qu'elle désirait le plus c'était du papier et des livres et au moins une leçon par semaine. La belle-mère dit à Hannah que Sarah était une enfant trop gâtée. Sarah Yetta demanda à sa mère pourquoi les femmes devaient s'opposer à ce qu'on donne une éducation aux filles. Hannah répondit que toutes les personnes âgées étaient d'avis que si les femmes lisaient elles ne feraient pas leurs devoirs de ménage.
"Te souviens-tu quand grand-père Fivel m'a donné L'Arbre de Vie à lire et à apprendre par coeur ? Dans ce livre il est dit : Celui qui ne sait pas lire est aveugle."
"Il est question d'un homme", répondit Hannah.
"Je n'arrive pas à croire que des gens intelligents pensent qu'une femme n'est pas aussi bien qu'un homme." Et Sarah Yetta décida de n'écouter ni sa mère ni la belle-mère de sa mère, mais d'apprendre autant qu'elle pouvait.