AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Petitebijou


Ce récit, paru en 1999, est le premier ouvrage que je lis de l'auteur. Il est très bref, mais on sent qu'il fut dur à écrire. Car, et c'est là que pour moi réside l'intérêt principal de cette lecture, Nathalie Rheims exprime au fil des lignes et se débat avec le besoin de dire et la pudeur de taire.
L'envie d'écrire a commencé avec la disparition de son frère adoré, mort d'un cancer de la lymphe à 33 ans. Evoquer l'absent lui devient impératif pour survivre, mais comment évoquer l'absence, le manque, quels mots pourraient traduire le vide, le rien ? Nathalie Rheims ne déploie pas de raisonnements métaphysiques, ne partage pas les moindres tourments qui l'assaillent. Elle fait dans la simplicité, et l'on sent que le strict minimum lui coûte encore trop. Chaque paragraphe est épuré. Les émotions sont évoquées, fugitives, mais, grâce à un beau talent d'écriture, prégnantes.
Pour évoquer une présence absente, celle de son frère, impossible à dire, puisque déjà perdue, et pour le retrouver autrement, dans un territoire plus acceptable pour échapper à la folie ou au suicide, l'idée s'impose à l'auteur d'évoquer un autre amour de sa vie, platonique, puisqu'elle n'a jamais rencontré l'objet de cet amour, qu'elle ressent tout aussi réel qu'un amour « en présence ». Cet amour a les traits de l'acteur Charles Denner, et le récit devient alors une tentative de biographie d'un homme farouchement secret, dont on ne sait pas grand-chose, qui refusait d'exhiber même en famille ses photos…, cet acteur à la voix inimitable, au charme si particulier, un peu étrange, un peu ailleurs…
Nathalie Rheims décide de rencontrer des êtres qui ont côtoyé l'acteur assez intimement (si cela était possible), un frère, un ami, une ancienne épouse, un fils… et de tenir une sorte de journal de sa quête. Encore une fois, elle a besoin de dire, mais ses questions sont auréolées de retenue, tandis que les témoins qui acceptent sa démarche sont aussi très peu diserts. Peu à peu, l'auteur tisse avec eux, dans cet espace de dialogue où le silence en dit plus que les mots, des liens qui la retiennent au monde. le peu que nous apprenons de Charles Denner (et qui est déjà beaucoup), de ses origines, sa famille, son rôle de résistant, sa vocation de comédien, sa vie sentimentale, sa maladie, est finalement le récit en filigrane d'un sauvetage. A travers ce jeu de miroirs entre le frère et l'acteur, peu à peu, c'est le reflet de l'auteur qui reprend corps. C'est ce qui rend ce livre, malgré la frustration de sa brièveté, si magnifique. J'ai été très touchée par la démarche encore plus exceptionnelle aujourd'hui d'une écriture qui explore les territoires de la plus profonde et secrète intimité sans tomber dans les travers et la facilité du déballage, du racolage. L'empathie nait pour le lecteur de cette écriture que je qualifierais de « malgré-soi ». La fin du livre, on le sait aujourd'hui, est un commencement, car, outre que son enquête aura permis à Nathalie Rheims de rencontrer un nouvel amour en la personne de Claude Berri, elle lui aura surtout donné la parole écrite. Nul doute que je vais continuer à écouter ce que cette femme si touchante a à dire en lisant d'autres ouvrages dont elle est l'auteur.
Pour finir, au cours de la lecture de « L'un pour l'autre », impossible pour moi de ne pas penser à Georges Perec, auteur de « La Disparition », dont j'avais choisi cette citation pour Babelio de « W, ou le souvenir d'enfance » :
« J'écris parce qu'ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l'écriture : leur souvenir est mort à l'écriture ; l'écriture est le souvenir de leur mort et l'affirmation de ma vie. »
Commenter  J’apprécie          300



Ont apprécié cette critique (23)voir plus




{* *}