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Critique de glegat


Matthieu Ricard est le moine bouddhiste le plus connu en France, il est le fils du philosophe Jean-François Revel et présente la particularité d'avoir acquis une solide formation scientifique avant de se consacrer au bouddhisme et de vivre une vie d'ascète tibétain. Il est titulaire d'un doctorat en génétique, ce qui donne, en plus de l'exemple qu'il donne par son mode de vie, un crédit supplémentaire à sa parole. Il a publié en 2014 un remarquable essai de près de 1000 pages consacré à la notion d'altruisme qui pourrait selon lui, être l'une des meilleures réponses à tous nos maux. Il ne s'agit pas d'un livre feel good comportant de belles citations, recommandations, pensées positives destinées à un public en quête de recettes pour évacuer le stress de la vie quotidienne. Ce livre est beaucoup plus profond, il va plus loin et aborde les problèmes de nos sociétés de façon très large et d'une manière à la fois scientifique et philosophique. L'auteur à travaillé plus de quatre ans à la rédaction de cet ouvrage qui présente de manière très détaillée des solutions pour faire face aux problèmes de l'humanité aussi bien dans ses relations sociales que dans ses interactions avec la nature. Il s'appuie sur les principes du Bouddhisme qui définit la compassion comme le souhait que tous les êtres soient libérés de la souffrance et de ses causes. Nombre de nos souffrances prennent leurs racines dans la haine, l'avidité, l'égoïsme, l'orgueil, la jalousie et autres états mentaux que le bouddhisme regroupe sous l'appellation de « toxines mentales ». D'après le Bouddha, l'origine de ces perturbations mentales est l'ignorance, pas d'un simple manque d'information, mais d'une vision distordue de la réalité (Page 46).

Matthieu Ricard s'efforce de démontrer que l'entraide, le secours et la sécurité sont des comportements plus courants que l'indifférence, l'égoïsme et la violence. Pendant deux siècles nous avons subi un lavage de cerveau par des philosophes qui ont mis l'accent sur l'aspect détestable de l'homme, soulignant sa disposition égoïste et malveillante au détriment de ses autres qualités. Consciemment ou non, avec Hobbes et Freud, nous acceptons la proposition selon laquelle l'homme est essentiellement un être agressif, enclin à la destruction [Page 154]. Il est vrai qu'il est parfois facile de céder à cette vision des choses lorsqu'on regarde les actualités à la télévision qui se font l'écho des violences et des comportements nuisibles de certains de nos contemporains. Mais l'auteur nous démontre qu'il ne s'agit que d'un reflet partiel de la réalité.

Après avoir fait le tour des philosophies et doctrines d'inversion des valeurs prônées notamment par des philosophes tel qu'Ayn Rand qui considère que l'altruisme est immoral, car il exige de nous des sacrifices intolérables et représente une contrainte inacceptable imposée à notre désir de vivre heureux, l'auteur nous montre, expérimentation scientifique à l'appui, que l'altruisme véritable existe vraiment et qu'il est nécessaire de le développer pour assurer le développement harmonieux de l'humanité. « L'altruisme peut être cultivé sur le plan personnel et encouragé au niveau sociétal ; qu'à l'école il n'est pas vain de mettre davantage l'accent sur la coopération, les comportements prosociaux, la solidarité, la fraternité, la non-discrimination et toutes les attitudes qui procèdent de l'altruisme. Et que ce n'est pas faire preuve d'un idéalisme naïf que d'envisager le développement d'une économie qui intègre dans son fonctionnement le souci de l'autre » [Page 175].

Cet essai est remarquable par la densité des informations qu'il contient et par son approche pluridisciplinaire, véritable bible du bon sens qui analyse de nombreux faits historiques, de théories scientifiques, de doctrines philosophiques. Il présente une vision optimiste de l'avenir à condition que chacun prenne conscience des changements qu'il doit personnellement mettre en oeuvre pour soulager les souffrances dont il est le témoin, aussi bien les souffrances humaines que les souffrances animales. Il ne se contente pas d'énumérer les problèmes, mais propose aussi des solutions simples à la portée de tous comme par exemple la diminution de notre consommation de viande. Pour produire 1 kg de viande il faut la même surface que pour produire 160 kg de pomme de terre [page 603], sans compter qu'il est démontré qu'une trop grande consommation de viande est responsable du cancer du côlon ou de l'estomac. L'auteur aborde aussi la question de l'éducation et propose des méthodes d'apprentissage collaboratif, l'interaction avec la nature, etc. Les questions économiques sont également étudiées avec rigueur, il dénonce le fléau des inégalités et cite Plutarque « Le déséquilibre entre les riches et les pauvres est la plus fatale et la plus ancienne des maladies des républiques » [Page 704] et Piketty qui a démontré dans son livre « Le capitale au XXIe siècle » que l'accumulation des richesses au sommet de l'échelle sociale ne ruisselle pas jusqu'aux classes les plus pauvres. Il met en avant la nécessité de développer le commerce équitable. Plusieurs graphiques pertinents et notes bibliographiques accompagnent les textes. Il dénonce les faiblesses du modèle économique actuel et les défaillances systémiques du capitalisme ainsi que les méfaits de la publicité (400 milliards de dollars sont dépensés chaque année dans le monde pour la publicité (Page 81).

Il propose d'autres indicateurs économiques que le PIB ou le PNB, il faut garder à l'esprit la distinction entre quantité et qualité de la croissance et cite l'exemple du Bouthan qui utilise et met en pratique l'indicateur du BNB (Bonheur National Brut) au lieu et place du PNB (Produit National Brut).

Vous l'aurez compris ce livre est d'une richesse extrême, car il aborde tous les problèmes que l'humanité rencontre aujourd'hui et propose comme remède contre le règne de l'égoïsme, la compassion et l'altruisme pour redonner du sens à nos vies et soigner les maux contemporains. Ce livre est de nature à redonner de l'espoir et de l'optimisme à ceux qui en manque.

Un livre que devraient lire tous ces froids technocrates qui nous gouverne ne serait-ce que pour les inciter à se poser de simples questions avant de prendre chacune de leur décision : ma décision permettra-t-elle de réduire les inégalités, les souffrances et les injustices ? en quoi elle va améliorer le sort des plus défavorisés et quel est son impact à long terme sur l'environnement et la biodiversité ?

Il faut un certain souffle pour aller au bout de ce livre (1000 pages) à une époque ou tout nous formate pour le zapping, mais cela en vaut vraiment la peine.

— « Plaidoyer pour l'altruisme, La force de la bienveillance », Matthieu Ricard, k Pocket (2014), 1022 pages.
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