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Critique de Charybde2


Fausse histoire de vampire, cri du sexe enfermé, redéfinition du désir et du social.

Publié en 1996, et traduit en français en 2007 par Héloïse Esquié aux Désordres de Laurence Viallet, ce roman relativement inclassable de Doug Rice, d'une rare violence physique et verbale, était profondément admiré par Kathy Acker, qui écrivait à son propos les mots retentissants que l'on trouvera un peu plus loin, et me fut chaleureusement recommandé, suite à nos échanges sur le "Don Quichotte" de la sus-nommée, par l'écrivain Jean-Marc Agrati.

Une étrange famille, les Mugwump, se débat depuis des années dans un véritable maelstrom de changement de sexe et de soif de sang, exacerbé, entretenu ou causé par une perpétuelle dérobade du langage qui ne parvient pas à nommer correctement leur désir et - donc - leur existence. le roman raconte, essentiellement à la première personne, la tentative de Doug Rice, le plus jeune membre de la famille, pour assumer et / ou surmonter cette malédiction vampirique, dans un aller-retour incessant et complexe de confrontations entre fantasmes intériorisés, scènes allégoriques ou oniriques, et bribes de quotidien du "queer" se heurtant à l'ordinaire de la bien-pensance, particulièrement du Midwest américain.

Beaucoup plus que l'hypothétique cri de rage d'une femme qui serait enfermée dans un corps d'homme (ce que l'auteur, quelle que soit la complexité de sa propre identité sexuelle, a d'ailleurs dénié à de nombreuses reprises), "Le sang des Mugwump", significativement sous-titré "Conte d'inceste tirésien", est de ces brûlots hallucinés qui, à l'instar en effet des principales oeuvres de Kathy Acker, peut faire douter de tout, mais tout particulièrement des articulations, tant patriarcales que matriarcales, entre identités sexuelles, organisations familiales et pouvoir social consacré. Et cela dans une langue foisonnante, désordonnée uniquement en apparence, et abondamment nourrie de Faulkner, de Joyce, de T.S. Eliot ou de Burroughs.

Une oeuvre évidemment dérangeante, dont la construction savante, sous ses faux airs de logorrhée désordonnée, évite largement les écueils de la pure posture et de l'hermétisme complaisant.

Et Kathy Acker, donc : "Des phrases et une prosodie absolument sublimes... J'en bave d'amour, et je parie que cela n'a pas échappé à Faulkner lui-même, mort ou pas. Mais ce qui est encore plus impressionnant, c'est l'entrée de Rice dans la guerre du genre. Rice redéfinit la masculinité (son identité ?) et la féminité (son autre ?) en les soumettant à un questionnement infini, implacable. Il en résulte une poésie vue comme analyse, qui s'inscrit dans ce qui doit bien s'appeler la "réalité"."
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